DÉCRYPTAGE — Zaho de Sagazan, adepte de fripes et du "très simple", interprète du Édith Piaf lors de la cérémonie de clôture des Jeux olympiques de Paris 2024 dans une tenue signée d'une célèbre maison de couture.
Zaho de Sagazan, artiste au talent émergent, se démarque par son approche vestimentaire résolument décomplexée, marquée par une simplicité désarmante et l'habit pas cher. Cette jeune chanteuse, s'est récemment illustrée par des déclarations affirmant n'éprouver "aucune attirance pour le luxe" tout en revendiquant sa proximité avec Emmaüs et Decathlon. Pourtant, c'est bien la tenue de haute couture qu'elle a portée à la cérémonie de clôture des Jeux olympiques qui fait parler d'elle. Artiste à la voix singulière et aux textes poignants, Zaho de Sagazan incarne une nouvelle génération qui allie audace créative et authenticité, défiant les conventions et jouant avec les paradoxes de son image.
CMCM explore comment l'artiste navigue entre deux mondes vestimentaires. Pour décrypter ce grand écart, nous avons interrogé deux professionnelles de la mode. Aurélia Steiner, ancienne responsable de qualité chez Mugler, est aujourd'hui personal shopper et coach en stylisme. Elle allie son savoir-faire en luxe à une attention particulière aux enjeux éthiques et de durabilité. Isabelle Thomas, thérapeute, journaliste pour ELLE et styliste personnelle, a créé le concept "detox penderie" et est autrice de Mon dressing idéal : vous, en (encore) mieux chez Solar. Avec des méthodes anti-diktats, elle aide ses clients à choisir des pièces qui reflètent leur mode de vie et à se libérer à travers le vêtement. Les expertes nous éclairent sur les choix de l’artiste entre authenticité, exigences de l'industrie et nouveau récit.
De la fripe au podium JO
Lors de 20e édition du Dîner de mode organisée par le Sidaction en juillet 2023, l'artiste surprend la journaliste de Lou, Clémence Majani, en répondant à la question "Tu es habillée par qui ?" par : "En Emmaüs, figure-toi !"
Zaho de Sagazan en tailleur Emmaüs – Gala du Sidaction
L’artiste, amusée, rétorque : "Oui, 8 euros 50" à la journaliste qui lance avec humour : "Tu es la mieux habillée pour le plus petit prix." Une vidéo republiée de l'artiste, gagnant par la suite quatre trophées lors des Victoires de la Musique, qui deviendra virale sur les réseaux sociaux en 2024.
Le luxe et la mode, pas pour elle
"Je n'ai aucune attirance pour ça ni pour le luxe. À l’origine, la mode n’est pas du tout un milieu qui m’intéresse : moi je m’habille chez Decathlon et Emmaüs. Mais j’ai rencontré Nicolas Ghesquière, le directeur artistique de Louis Vuitton, qui m’a dit comment certaines de mes chansons l’avaient inspiré pour ses créations.", déclarait Zaho de Sagazan à La Tribune, revendiquant une sobriété vestimentaire. Sobriété soulignée par le défaut de sa tenue. "Il manque un bouton et je me sens très bien" dit-elle au micro de Lou, ajoutant que cela ne l’empêche pas de se sentir bien dans le tailleur qu’elle porte depuis plus de quatre ans — sur scène notamment au Festival Solidays en juin 2023 ou lors de séances photo. Zaho de Sagazan, portait ce même tailleur pour annoncer à son public qu’elle jouera à guichet fermé à l’Olympia il y a un an.
« Faire ce que je veux dans ma garde-robe et porter tous mes vêtements de différentes manières. C’est ce que fait Zaho de Sagazan. »
Isabelle Thomas, qui cherche à améliorer l’image de soi par le vêtement, souligne l'importance de varier la façon de porter son vestiaire : "Faire ce que je veux dans ma garde-robe et porter tous mes vêtements de différentes manières. C’est ce que fait Zaho de Sagazan" résume la professionnelle.
L’ambassadrice Emmaüs rêvée
Zaho de Sagazan, pour sa démarche et son achat engagé, a reçu des éloges de la directrice du Label Emmaüs. Maud Sarda l’interpelle directement sur ses réseaux sociaux, obtenant plus de 16 000 likes et plusieurs millions d’impressions : "Zaho, ce serait formidable que tu deviennes l’égérie du Label Emmaüs." La représentante de la plateforme numérique solidaire de revente des produits d’occasion a ajouté : "Après plus de 7 ans d’existence, encore trop de gens ignorent que le mouvement Emmaüs vend en ligne !"
Lire sur le sujet : Exclu. Emmaüs veut Zaho de Sagazan comme égérie : une rencontre bientôt prévue
Zaho de Sagazan en Louis Vuitton – Cérémonie de clôture des JO
Le 11 août, l'artiste retient l’attention en interprétant "Sous le ciel de Paris" d’Edith Piaf vêtue d'une tenue Louis Vuitton lors de la cérémonie de clôture des Jeux olympiques. Une performance mémorable suivie par 17,1 millions de téléspectateurs en direct sur France 2, avec une tenue qui fait sensation.
LVMH et les JO de Paris 2024 : un partenariat qui interpelle
« Je me demande à quel point elle avait la liberté de refuser d'être habillée par LVMH. »
Ce contraste entre l’image d’Emmaüs et celle de LVMH pose des questions sur l'indépendance des artistes face aux grandes marques de luxe. La personal shopper Aurélia Steiner commente cette situation avec franchise : "Je me demande à quel point elle avait la liberté de refuser d'être habillée par LVMH."
Liberté de l'artiste de ne pas être habillée par Louis Vuitton
« LVMH a le monopole de tout. C’est un groupe qui ne laisse de place à personne. »
Louis Vuitton, le célèbre malletier français, conçoit les écrins des torches olympiques et des médailles des athlètes pour les Jeux de Paris 2024. Les porte-médailles, reconnaissables à leurs tenues distinctives, sont présents lors des cérémonies, et des personnalités comme Zaho de Sagazan porteront des costumes signés Vuitton lors de la cérémonie de clôture. LVMH, en tant que partenaire premium des Jeux de Paris 2024, joue un rôle central tout au long de l'événement, étant même coproducteur de la cérémonie d’ouverture selon Glitz, cette influence provoquant des tensions jusqu'au sommet de l'État.
L'ancienne responsable qualité de chez Mugler, Aurélia Steiner questionne le choix de tenue de scène de Zaho de Sagazan, soulignant le monopole de LVMH : "C'est un groupe qui ne laisse de place à personne." Elle précise que l’ouverture des Jeux a permis la mise en lumière de petits créateurs, ajoutant ironiquement : "bientôt rachetés par LVMH". L’experte mentionne aussi le défilé de mode sur le pont d'Iéna du 26 juillet, regrettant le manque d’intérêt des géants du luxe pour le drag : "À ce jour, ce n’est pas le même impact d’habiller une jeune femme artiste très connue comme Zaho de Sagazan et des drag queens".
Cette réflexion montre les défis auxquels des artistes comme Zaho de Sagazan sont confrontés. Entre valeurs et pression des sponsors, leur marge de manœuvre peut être limitée. Isabelle Thomas propose une autre perspective : l’artiste pourrait avoir accepté par amitié pour le directeur artistique Nicolas Ghesquière. Ce qu'Aurélia Steiner valide, ajoutant qu’elle aurait eu tort de s’en priver.
Même robe portée au Festival de Cannes
Cette tenue aurait été portée lors deux événements majeurs, ce qui est rare : la cérémonie d'ouverture du Festival de Cannes et celle de clôture des Jeux olympiques.
Un détail intéressant a été remarqué par les stylistes. "Le haut est le même que celui porté par Zaho au Festival de Cannes. C’est probablement un body" déclare Aurelia Steiner. Pour la personal shopper, cela montre que "Zaho de Sagazan ne voit pas de problème à reporter les vêtements". En fait, l’idée de changer seulement le jupon pourrait venir d’elle.
« C'est le même patronage, Zaho garde sa simplicité et reste fidèle à son identité. Ce pourquoi son public l’aime. »
Choix de reporter le vêtement
Pour la styliste qui accompagne les femmes à se libérer des contraintes de la mode, Isabelle Thomas, authenticité et liberté priment. Comme le montre le fait de reporter un vêtement, à l'image de Zaho de Sagazan : « Zaho est une jeune femme libre, sans bijou, qui pourrait très bien reporter cette tenue dans la rue, accompagnée de baskets. »
Minimalisme, sobriété et nouveau récit autour du vêtement
Habillée par la Maison partenaire des Jeux, la chanteuse reste donc simple. Grand écart Emmaüs-LVMH, mais pas de changement de style. "C'est une tenue universelle, pas extravagante, elle peut la porter et reporter. Cette tenue n'est pas à la mode" précise Isabelle Thomas. Les expertes sont d'accord : l'artiste a pesé dans ce choix minimaliste. Pour elles, c'est une réussite.
« Cette tenue n’est pas à la mode. »
La collaboration avec LVMH ne remet-elle pas en cause le statut d'ambassadrice de la sobriété de Zaho de Sagazan ? Pas nécessairement, selon Aurélia Steiner : "On peut faire attention à sa consommation et avoir le droit de faire des écarts, notamment dans ce contexte international des Jeux olympiques. La jupe a d’ailleurs probablement été prêtée. Les maisons de luxe récupèrent souvent les vêtements faits sur mesure pour des occasions particulières." Pas d’incompatibilité aussi pour la journaliste qui voit un savoureux mélange et va plus loin : "je pense qu’elle peut être les deux et s’amuser avec différentes pièces".
En re-portant l'habit de scène Vuitton, Zaho de Sagazan garde une cohérence avec son éthique, selon Aurélia Steiner. Pour Isabelle Thomas, l’artiste reste fidèle à elle-même, sans effet déguisement. Ce choix stylistique peut être interprété comme une proposition de nouveau récit du vêtement de cérémonie. D'un récit libre et minimaliste autour du vêtement de cérémonie. Un imaginaire qui ne pousse pas à la consommation et évite l’adoption de tendances — la thérapeute, Isabelle Thomas, parle de joie à le faire. C'est s'amuser à créer du nouveau avec l'existant dans un environnement codifié.
Vision alternative de Zaho de Sagazan sans adieu au vêtement seconde main
Parfois en tenue sur mesure confectionnée par une maison de luxe, parfois en seconde main bon marché et très usagée, tout droit sortie de son propre vestiaire, Zaho de Sagazan étonne (ou pas) par ses choix et se distingue dans un univers simple. À l’avenir, l'artiste pourrait privilégier de nouveau la seconde main populaire, ou se laisser tenter par un vêtement vintage prêté par une maison de haute couture.
Cette démarche rappelle la récente apparition de l’actrice américaine Blake Lively, qui fait sensation en portant une robe Versace emblématique, arborée par Britney Spears il y a plus de vingt ans. Ce clin d'œil à la mode passée montre que le vintage a sa place sur les tapis rouges, un mouvement dans lequel pourrait s’inscrire Zaho de Sagazan pour la journaliste Isabelle Thomas.
"Va-t-elle prendre le pli LVMH ?" s’interroge Aurélia Steiner. "On aura la réponse lors de ses prochaines représentations. Si elle devient égérie LVMH, cela sera une autre histoire" conclut-elle. Un choix qui pourrait décevoir Emmaüs, qui compte sur elle. Pas d’inquiétude. Isabelle Thomas ne serait pas surprise de continuer de voir l'artiste naviguer entre les deux mondes, pour créer le sien propre, sans jamais renoncer complètement à la seconde main.
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