CMCM constate une accélération du développement des offres en ligne dédiées à la seconde main. Au mois d'avril, une dizaine de sites de marques de mode qui proposent des vêtements de seconde main ont vu le jour, à l’instar de Gérard Darel, Tara Jarmon ou encore Zapa. Et nous observons un phénomène troublant : ces trois enseignes y commercialisent presque exclusivement des vêtements neufs.
Vêtements de « seconde main »
L'expression "seconde main" n’est pas définie juridiquement. Dans le langage courant, est neuf ce qui n’a pas servi (1) ; usagé ce qui a servi (2) ; d’occasion ce qui n’est pas neuf (3). Classiquement, les experts s’accordent à dire que le terme seconde main englobe une variété de biens et de produits, allant des vêtements et accessoires aux voitures et aux biens immobiliers, qui ont été préalablement possédés (4). Le point central sur ce marché est l’obtention ou l’utilisation de biens déjà utilisés pour un usage continu, créant ainsi une alternative aux produits neufs vendus sur le marché primaire (5).
Un site de mode dédié à la seconde main devrait, donc, proposer à la vente des vêtements qui ont déjà servi. Pourtant, trois marques de prêt-à-porter, les enseignes haute gamme Gérard Darel, Tara Jarmon ou encore Zapa (toutes les deux propriétés du groupe français Brand Sisters), ont choisi de commercialiser une écrasante majorité de vêtements jamais portés sur leur plateforme seconde main.
90% de vêtements neufs sur les sites seconde main
La preuve en est. Pour chacune de ces marques, CMCM a analysé les données, enseigne par enseigne, à retrouver ci-dessous. Le constat est implacable : malgré la terminologie "seconde main" de la plateforme, 90% des pièces proposées en moyenne sont des vêtements neufs.
Gérard Darel seconde main
La marque Gérard Darel propose 200 articles sur son site de seconde main, dont 193 sont neufs.
Gérard Darel commercialise 96% de vêtements neufs sur son site dédié à la seconde main. Dans sa communication, la marque précise : « Découvrez les dernières pièces de seconde main arrivées sur le site ! »
Zapa seconde main
La marque Zapa propose à la vente 343 vêtements sur son site Zapa seconde main, dont 296 sont neufs.
Zapa commercialise 86% de vêtements neufs sur son site dédié à la seconde main.
Tara Jarmon seconde main
La marque Tara Jarmon propose 240 articles, dont 212 en état neuf, à la vente sur son site de seconde main.
Tara Jarmon commercialise 88% de vêtements neufs sur son site dédié à la seconde main.
La start-up Faume, à l'origine de cette offre « seconde main »
La start-up française, fondée en 2019, opère des plateformes technologiques et logistiques pour le compte des marques. L'objectif affiché sur le site de l'entreprise est : "Créez votre offre de seconde main et devenez une marque plus inspirante".
Faume communique régulièrement sur le lancement de ses clients dans le marché de seconde main. Sur les réseaux sociaux, Faume annonce le partenariat avec Gérard Darel, Tara Jarmon et Zapa et partage sa dernière collaboration dans le post suivant : "Nous sommes fiers d'annoncer la collaboration entre Faume et l'emblématique Maison Gérard Darel pour le lancement de leur plateforme de seconde main".
L’argument marketing « pre-loved » utilisé pour la seconde main
Tara Jarmon et Zapa vendent des produits d'occasion en utilisant le terme "pre-loved" (déjà aimé). Cette stratégie marketing attribue une valeur émotionnelle aux produits, en suggérant qu'ils ont déjà été aimés par une autre personne. Utilisée par les acteurs de la seconde main, cette technique permet d'accentuer l’histoire et l’importance sentimentale du produit existant.
« Vous avez aimé et porté des articles Tara Jarmon », peut-on lire sur les réseaux sociaux de la marque de prêt-à-porter.
Zapa utilise également l'expression "pre-loved" pour promouvoir ses produits sur son site, en indiquant : « Les adeptes de la marque pourront découvrir une sélection de vêtements de qualité, pré-aimés mais toujours stylés ».
Dans une situation où la plupart des vêtements vendus sont neufs, ce marketing prend le risque d’être trompeur, car il crée un écart entre le produit réel et la communication.
Expansion du marché de la seconde main, surstocks de marque et réglementation
Comment expliquer la faible quantité d’articles d’occasion sur ces sites dédiés ? Nouveau marché, phase de test et réglementation sont des pistes à explorer.
Perspectives d'entrée sur un nouveau marché
La vente de seconde main en ligne, autrefois négligée, devient une stratégie de distribution essentielle pour les marques depuis moins de deux ans. En raison de la crise de l'habillement, de nombreuses enseignes sont contraintes de mettre fin à leur activité. Les vêtements d'occasion offrent alors une opportunité de développement et une source de revenus qu’elles ne peuvent plus ignorer.
Évalué à 350 millions de dollars en 2027, le marché, avec une demande consommateur en constante augmentation, offre des opportunités aux professionnels qui cherchent à se diversifier tout en visant la rentabilité. Le groupe Ba&sh a montré les signes de réussite sur ce marché. En mars dernier, la marque a annoncé la rentabilité de son offre. Après un test en 2017 et une expansion en 2022, elle met en avant son succès et l'expansion de son commerce. Avec 18 000 produits vendus, généré un chiffre d'affaires de 1,5M€, un taux d’écoulement de 75% et 35% de nouveaux clients. Cependant, beaucoup reste à faire pour les nouveaux entrants.
Loi AGEC : la nouvelle seconde main des marques ?
Une réglementation a priori contraignante peut devenir une opportunité de re-commerce. Depuis le 1er janvier 2022, la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (loi AGEC) interdit la destruction des invendus, y compris les textiles et les chaussures, sans prévoir des solutions pour ces produits. La croissance de la vente de produits de seconde main offre, aux marques la possibilité d'écouler leur surplus de production. L'anthropologue Emmanuelle Durand explore cette voie, notant que les pratiques de revente évoluent et que les termes utilisés pour désigner la fripe se brouillent (6).
Interrogé sur la pratique, le service communication de Zapa affirme que l’enseigne propose des produits neufs d'anciennes collections pour lancer leur site.
"Nous avons besoin d'un petit stock de lancement, c'est là que nous intervenons avec notre stock restant. Nous avons mis en ligne 200 à 300 pièces de nos stocks invendus. C'est juste pour commencer," assure Zapa par téléphone.
L'enseigne prévoit de "proposer progressivement des articles repris" et de "passer à une vraie seconde main". Pour la marque, cette phase transitoire est courante lors du lancement des plateformes dans ce secteur. Les marques Gérard Darel et Tara Jarmon, ainsi que la start-up Faume, contactées, ne nous ont pas encore répondu.
Un trou dans la raquette
La notion de "seconde main" est tendance, et sert parfois de filet à des nouvelles pratiques. En l'absence d'un contournement avéré de la réglementation - par exemple la réglementation sur les soldes, une avocate spécialisée en droit des marques interrogée sur le sujet estime que la pratique n'est pas trompeuse. Selon elle, la mention "état neuf" informe sur l'état du produit.
Mais le consommateur doit être attentif. Passer au-delà de la qualification qui l’a peut être mené jusqu’au produit et s’assurer de l'état souhaité. L'appellation "seconde main" des plateformes spécialisées, utilisée dans la description générale du site et présente dans l'URL, ne garantit pas la vente de produits déjà utilisés. Il s'agit d'un trou dans la raquette.
(1) CNRTL, v. neuf : qui est fait depuis peu, qui n’a pas encore servi.
(2) Le Robert, v. d’occasion : qui n’est pas neuf.
(3) Larousse, v. usager : qui a servi, qui a perdu l’aspect du neuf.
(4) Cervellon et al, 2012 ; Turunen et Leipamaa-Leskinen, 2015 ; Kessous & Valette- Florence, 2019.
(5) Guiot et Roux 2010.
(6) Durand, L’envers des fripes, Les vêtements dans les plis de la mondialisation, Premier Parallèle, 2024.
Lire aussi : Notre revue des presse des réseaux sociaux dédiée à la seconde main
