Crédit : Envoyé spécial
Interview du rédacteur en chef et fondateur de Déchets Infos
Pendant la diffusion du reportage d’Envoyé spécial diffusé le 21 novembre 2024 sur France 2, Olivier Guichardaz est tombé de sa chaise. Une fois le reportage terminé, ce rédacteur en chef et fondateur du média spécialisé Déchets Infos (une lettre d’informations bimensuelle sur la gestion des déchets) a interpellé directement la chaîne publique et l’émission sur les réseaux sociaux ainsi que la journaliste Lila Bellili.
La raison de sa colère : le traitement de la gestion de la fripe en France dans cette émission.
Chez CM-CM.fr, nous ne prenons pas parti et trouvons important de rendre compte de l’avis de ce journaliste spécialisé dans ce secteur. Interview.
Vous avez alerté à la suite de la diffusion de l’Envoyé spécial, "Very bad fripes", et mentionné le médiateur de France Télévision, qu’est-ce qui était si choquant d’après vous ?
Tout le sujet a été basé sur une information fausse, d’où il était tiré une conclusion fausse. L’information fausse, c’est que presque tous les vêtements collectés en France seraient triés à l’étranger. En réalité, en 2022, 84 % étaient triés en France, le reste à l’étranger dont la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne (voir en page 43 de ce rapport de Refashion). En 2023, c’était 85 % (voir sur le site de Refashion). L’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) a grosso modo les mêmes chiffres. Dans ses données 2023, elle indique également une proportion de "trié en France" qui gagne un point par rapport à 2022.
La conclusion fausse (mais de manière moins flagrante), c’est que "la fripe n’est pas si écolo que ça". Il y a des études environnementales sur le sujet, disponibles en ligne, la dernière datant de 2022. Ces études montrent que la fripe a des impacts environnementaux meilleurs que le textile neuf, et dans des proportions importantes (voir page 7 et 8 de cette étude de Refashion).
C’est ce qui m’énerve dans ce genre de traitement, c’est que tout le monde y perd. La cause du recyclage des textiles elle-même y perd, parce qu’elle est mal défendue et mal perçue. Et nous, journalistes, globalement, nous perdons aussi, car ce genre de travail rejaillit sur notre crédibilité. À la fin, tout le monde se dit : "Mais pourquoi ça a été fait comme ça ? Qui peut trouver ça sérieux ?"
Le "fripe bashing", on ne l’observe pas que chez Envoyé Spécial, on se souvient d’un épisode de Sur le Front d’Hugo Clément. C’est rare de voir un grand média ou un média généraliste traiter le sujet avec un œil neuf et une connaissance accrue de l’économie circulaire. Pourquoi quand le sujet de la fripe est traité, il est forcément malmené, d’après vous ?
Le sujet de la gestion des déchets est souvent mal traité dans les médias généralistes. Celui de la collecte et de la valorisation des textiles (dont la fripe) est encore plus mal connu, y compris de certains spécialistes du déchet. Donc il est souvent mal traité, voire très mal traité. C’est un manque de connaissance du sujet, ajouté, semble-t-il, à un manque de recherche pour mieux le connaître. Dans le cas d’Envoyé Spécial, c’est assez flagrant. Le syndicat des récupérateurs et recycleurs de textiles n’a pas été contacté. Les données de l’Ademe et/ou de l’éco-organisme Refashion ont semble-t-il été peu consultées et/ou mal comprises. C’est très fâcheux, et pour la filière textiles, et pour le public de l’émission, qui a reçu des informations fausses et qui gardera une image faussée de la filière.
Vous qui connaissez bien ce métier et qui êtes en plus spécialisé, quels conseils donneriez-vous pour aborder ce sujet très peu ou mal traité et où les datas et les infos sont mal répertoriées ? Quelle méthodologie un journaliste qui n’y connait rien doit adopter ? Et comment peut-il savoir à qui s’adresser ?
C’est délicat pour un journaliste de donner des conseils à d’autres journalistes. On peut tous faire des erreurs. Ça m’arrive aussi. Mais chacun sait que le minimum, c’est d’abord d’aller vers les sources officielles (les données publiques : Ademe, ministères, éco-organismes…), et en tout état de cause, de croiser les sources, autant que possible. Pour revenir au sujet d’Envoyé Spécial, à en juger par mes échanges (très brefs) avec la journaliste sur X/Twitter, elle avait comme source une page d’un rapport annuel de l’éco-organisme Refashion, qu’elle avait manifestement mal comprise, rapport dont elle n’avait semble-t-il pas lu (ou mal compris) la page précédente, plus un acteur du secteur, mais qui n’est ni collecteur, ni trieur de textiles… La moindre des choses aurait été de bien lire les données et de contacter au moins un collecteur et/ou un trieur (dans le jargon du métier, pour le textile, on dit un "classeur"), ou, mieux, le syndicat des opérateurs.