Vin nature, ultra local, chai urbain, vente en vrac, zéro déchet, réemploi et consigne ou rien
Géraldine nous accueille dans son chai urbain, un lieu où la magie de la vinification opère. Situé dans sa ville natale, ce chai est le cœur battant du domaine viticole, dont Géraldine est fièrement la vigneronne. Le domaine est niché à moins de 25 km de Lyon et s'étend sur six hectares de vignes en appellation Coteaux du Lyonnais, appellation qui borde la ville entre l'appellation du Beaujolais et des Côtes du Rhône. Les raisins qui y sont cultivés, ramenés en ville, produisent des vins labellisés “ Fabriqué à Lyon”, bio et naturels.
Le chai urbain lyonnais La Têtue
Après avoir travaillé comme maître de chai à Beaune à la suite d'une carrière dans l’industrie pharmaceutique, puis monté un domaine viticole dans le Sud de la France, Géraldine exploite désormais ses vignes depuis deux ans entre Orlienas et Thurins, et produit son vin dans une petite cave rue Grobon.
« La cave est petite mais j'aime beaucoup cet emplacement. Nous sommes au cœur du premier arrondissement. C'est ici que j'ai vécu toute mon enfance et adolescence. C'est un quartier qui a la richesse de mélanger les populations, avec des coins un peu riches et des coins un peu roots. J'aime ces mélanges de vie. »
La démarche du domaine viticole est le prolongement de son engagement personnel.
« Le nom du propriétaire précédent du local s’appelait M. Têtu. J’avais déjà le nom de mon domaine viticole. Je crois que ça a bien ancré ma motivation dans le fait d’acheter et de m’installer ici. »
Le nom du domaine La Têtue reflète la personnalité de sa propriétaire. Il ne fait aucun doute que Géraldine montre un attachement tenace à ses opinions, et c’est pour les partager et présenter la démarche unique qui l’anime que nous nous rencontrons.
« Je fais tout à la main, je n’ai pas de tracteur. Pour les seuls traitements que j’utilise, c'est uniquement du cuivre et du soufre, et des tisanes de plantes. »
Et cela ne représente qu'une petite partie de l'approche de cette vigneronne hors norme. Par exemple, Géraldine exploite ses propres vignes, et presse les raisins au chai. Dans la plupart des cas, les viticulteurs font venir le moût (une mixture obtenue par pressurage ou cuisson de végétaux ou bien d’extraits de végétaux), donc des raisins déjà pressés. Sur place, ils effectuent la fermentation et l'élevage, puis mettent en bouteilles classiques.
« Si j'ai créé un chai en milieu urbain, c’est pour une vraie raison : rapprocher le vin aux consommateurs et vendre en vrac. Ce n'est pas pour divertir les citadins ! »
Cette professionnelle de la vigne et du vin a pour défi de vendre son vin en ville.
« Au départ, j'ai pensé à créer une cave, pas à devenir vigneronne. Mais j'ai rapidement compris que le commerce n'était pas fait pour moi et ne correspondait pas à mon caractère. J'ai fini par trouver mes propres vignes et devenir exploitante de mon propre raisin. »
Le ton est donné. Rencontre avec une hôte piquante, authentique et attachante dans le seul chai urbain utilisant uniquement des raisins locaux, une vente en circuit court, en vrac et en bouteilles consignées.
« J’ai pensé à produire le vin là où il est consommé et je tiens beaucoup à réduire la distance qui sépare le raisin de celui ou celle qui le boira. »
Géraldine est convaincue que la distribution est la clé d’un développement durable et responsable.
Refuser de commercialiser des bouteilles en dehors de la région lyonnaise : distribution ultra local pour production urbaine afin de réduire les longs trajets, la logistique complexe et l’empreinte carbone élevée du transport de marchandises.
Ce choix qui contribue au développement durable de la région.
« Acheter du vin en vrac, tirer le vin de la cuve et réutiliser les bouteilles est ce qui a mené mon projet depuis le départ. C’est ça qui m’a conduit à m’installer en ville. À la campagne, forcément, à part les habitants du village, je n'aurais pas autant de clients qu'ici. »
« Le vin est fait en ville. Pourquoi le vendre ailleurs ? »
La majorité des exploitants choisissent d'exporter leurs bouteilles à l'étranger. Géraldine refuse catégoriquement cette pratique. En faisant distribuer son vin exclusivement dans la région lyonnaise, elle pousse la démarche plus loin encore. Renoncer à ce marché, c'est réduire les émissions de gaz à effet de serre : le transport de marchandises sur de longues distances implique généralement l'utilisation de camions, de navires ou d'avions, qui sont des sources importantes d'émissions de gaz à effet de serre. En produisant localement, on réduit considérablement la distance parcourue par les marchandises, ce qui entraîne une réduction significative des émissions associées au transport.
C'est aussi la préservation des écosystèmes et la conservation de l'énergie.
Le transport de marchandises sur de longues distances peut entraîner la dégradation de certains écosystèmes, notamment en raison de la construction d'infrastructures de transport et de la fragmentation des habitats naturels. En produisant localement, on réduit la pression exercée sur ces écosystèmes et on favorise leur préservation. Aussi, le transport de marchandises sur de longues distances nécessite une quantité importante d'énergie fossile pour alimenter les véhicules utilisés. En produisant localement, on évite de dépenser cette énergie supplémentaire, et d’émettre les émissions de gaz à effet de serre associées.
C’est aussi se priver de l’expansion des marchés (explorer de nouveaux marchés, élargir sa base de clients potentiels et diversifier ses sources de revenus pour réduire la dépendance à l’égard d’un marché intérieur volatile), de la valorisation de la réputation ainsi que des avantages économiques et compétitifs (économie d’échelle, compensation des fluctuations saisonnières ou cycliques de la demande sur le marché intérieur, positionnement concurrentiel).
« L'impact dans le transport de marchandises occupe une trop grande place dans nos échanges commerciaux et peut être réduit. Plus on relocalise, meilleur sera le bilan carbone de ce qu'on a acheté. »
Le “moins” de “consomme moins” de Géraldine consiste à ne vendre qu’en circuit court. Elle parle d’ultra localisme.
La vente en circuit court permet principalement la proximité entre les producteurs et les consommateurs, la valorisation du terroir et de l’identité locale. Sans oublier, le soutien à l’économie locale et la durabilité.
Et cela vaut, selon elle, tous les sacrifices.
Des convictions affirmées haut et fort
Passionnée du terroir, cette vigneronne au franc-parler est dotée de convictions fortes qu'elle exprime avec passion et détermination.
« Vendre localement est un choix politique, j’irais jusque là. Souvent, les gens du métier me demandent : Pourquoi t'emmerdes à vendre localement ? Pourquoi ne pas vendre du vin à Paris ? C'est facile de vendre du vin à Paris. »
« Mais moi, je ne peux pas me résoudre à vendre du vin, qui est produit en centre-ville de Lyon, à Paris ou à Marseille. »
« Je ne vois pas l'intérêt de tout ça. Si c'est juste pour faire du marketing et dire que j'ai un chai urbain et que je fais du vin nature, mais derrière j’emmerde la planète parce que j'envoie mon vin à Hong Kong, c'est pas mon truc. C'est peut-être le truc de certains, mais ce n'est pas mon truc. »
Roméo n'a pas été présenté. Il s'agit du petit chien qui l'accompagne partout.
« C’est mon salarié, sauf que je ne le paye pas, à part en croquettes. Le métier est solitaire, on est nombreux à avoir des chiens, c’est une vraie présence. »
Refuser de jeter les bouteilles : vendre le vin en vrac
« Produire en ville permet aux gens de se servir directement à la cuve pour pouvoir réutiliser les bouteilles. M’installer en ville était avant tout permettre cette forme de consommation. »
La vente en vrac est plutôt courante concernant la nourriture. Cependant, dans le vin, les initiatives sont rares bien que de plus en plus nombreuses. Sur deux cuves, on peut lire les mots « rouge d’ici » et « blanc de là ».
C’est là que Géraldine re-remplit les bouteilles. Le vrac est à destination de ses clients particuliers et partenaires professionnels, principalement des restaurateurs lyonnais, cavistes ainsi que des épiceries bio.
« Acheter du vin en vrac, tirer le vin de la cuve et réutiliser les bouteilles est ce qui a mené mon projet depuis le départ. »
Le vrac est rendu possible en grande partie par un système de consigne.
Rapporter sa bouteille : la consigne pour réemploi
La consigne est un système qui permet la réutilisation d’un emballage plusieurs fois. Lors de l’achat d’un produit, le client dépose une somme d’argent en consigne qui lui sera restituée lorsqu’il rapportera l’emballage au point de collecte. Grâce à la consigne pour réutilisation, la plupart des bouteilles La Têtue lui reviennent.
En parallèle de ce système, il existe la consigne pour recyclage dont Géraldine n’a pas recours. En échange d’une contrepartie, les consommateurs sont incités à rapporter leurs contenants vides afin qu’ils soient recyclés. Recycler ce n’est pas réemployer !
Par rapport à la fabrication d’une bouteille neuve, la consigne pour réemploi permet une économie en matière première, d’eau et d’énergie mais aussi d’éviter les pollutions afférentes. En plus de l'approche durable adoptée par le domaine viticole, la consigne pour réemploi permet à Géraldine de minimiser ses coûts et d'optimiser le stockage.
« J’ai dû acheter 10% de bouteilles vendues. »
Cette pratique circulaire reste marginale.
Différents acteurs militent pour le retour de la consigne en France. Alors qu’une proposition de règlement européen sur les emballages et un traité international sur le plastique sont en négociation, les industriels s’activent pour discréditer le réemploi. Le mouvement Zero Waste France a lancé en janvier 2023, une campagne nationale d’action intitulée #Consignezmoi, visant à interpeller les industriels, la grande distribution et les pouvoirs publics sur le retour de la consigne pour réemploi.
En mai 2023, le Réseau Vrac et le Réseau Réemploi ont fusionné pour devenir le Réseau Vrac et Réemploi. Par ce mariage, l’association vise à devenir un acteur majeur de la filière du réemploi, représenter au mieux les acteurs de la filière élargie, peser davantage dans les débats publics et soutenir le développement d'une nouvelle filière industrielle française.
Géraldine ironise.
« Pourquoi jette-t-on encore les bouteilles ? C’est un peu comme jeter son assiette après avoir mangé. Ça n’a pas de sens ! »
Jongler avec les bouteilles
Aujourd’hui, Géraldine lave elle-même les bouteilles qui lui sont retournées en direct.
Elle travaille aussi avec un partenaire Rebooteille, qui propose une solution clé en main aux producteurs de boisson de la région lyonnaise. La prestation inclut la collecte des bouteilles sales, le lavage et la redistribution aux producteurs. Géraldine jongle quotidiennement avec différentes bouteilles et doit varier les façons d'étiqueter selon les exigences du cahier des charges du partenaire.
« Je pense que j’ai été un peu en avance sur mon temps, il y a deux ans personne ne parlait de ses sujets là. Aujourd’hui, tout le monde se pose des questions, non ? »
Le tournage a été réalisé en avril 2023 avant le nouvel étiquetage. Ainsi, en direct à la cave, le vin est vendu en vrac sans consigne. Il convient de ramener son contenant. Pour la somme de 2€, des bouteilles sont également proposées à la vente, c’est-à-dire qu’elles ne font pas l’objet d’un remboursement une fois ramenés.
« À la cave, les clients peuvent venir avec leur bouteille s'ils ne veulent pas acheter la mienne. »
La Têtue fournit également les restaurateurs de la ville. Géraldine échange quotidiennement les bouteilles vides contre des bouteilles pleines. Parallèlement, les clients des cavistes et des épiceries bio récupèrent 0,50€ par bouteille rapportée dans un point de collecte Rebooteille.
En juin 2023, Géraldine innove en optant pour un étiquetage unique en son genre. La vigneronne expérimente une étiquette ensemencée pour faciliter le réemploi au quotidien, poussant ainsi plus loin la démarche « zéro déchet ». Toujours aussi ingénieuse La Têtue !
A gauche, une bouteille photographiée lors du tournage. A droite, une image prise par Géraldine le jour du lancement du nouvel étiquetage.
Jongler avec les contraintes
Géraldine est transparence sur les difficultés qu'elle rencontre en adoptant une démarche unique et drastique et partage avec nous les retours qu'elle a de son entourage sur sa démarche.
« Ce n'est pas évident de faire comprendre la démarche aux gens de mon secteur car le vin c'est une denrée qui se vend partout. »
Jusqu'au-boutiste, diront certains, c'est du pragmatisme guidé par le désir de produire un vin de qualité, selon Géraldine.
« Les professionnels me disent parfois que les Coteaux du Lyonnais c'est super, mais qu'il faut peut-être attendre. Parce qu'aujourd'hui, il y a beaucoup de Beaujolais. D'accord, mais si je ne vends pas mon vin à Lyon avant deux - trois ans, qu'est-ce que je fais en attendant ? »
Entêtée, la têtue ?
« Je vends localement et je suis juste à l'équilibre financier, ce qui me pose questions. Si j'étais moins éthique, peut être que je vendrais plus. Cela pourrait sauver ma boîte. Est-ce que je fais une impasse sur ce point là, ou m’accroche à l'idée de départ ? Est-ce que je dois lâcher du lest sur certaines de mes convictions ou maintenir ma démarche, qui fait ma spécificité ? Et économiquement, comment je tiens ? »
« On ne prend pas de vacances, c’est de l’agriculture. L’agriculture, c’est difficile. Il faut le savoir, être passionné, serrer les dents, tout faire pour que ça marche et se payer un salaire. »
Les valeurs et l'engagement de Géraldine la conduisent à une consommation plutôt minimaliste. Son emploi du temps est entièrement dédié au développement de son activité, ce qui lui laisse peu de temps pour se consacrer à sa propre consommation.
« Le consommer moins s'impose un peu à moi. Je travaille beaucoup beaucoup beaucoup. Je ne fais jamais les boutiques, je ne voyage quasiment jamais. Je voudrais consommer plus, je n'ai pas le temps. Cela me va très bien finalement, je n'ai jamais été portée sur les fringues, sur la déco. »
Un équipement professionnel d'occasion pour l'activité viticole, un choix non facilité
S’équiper avec du matériel d’occasion n’est pas facilité pour les vignerons qui s’installent.
« Avant pour moi, il n’y avait pas d’autres solutions que d’acheter du neuf. On a des subventions européennes en tant que vigneron, notamment jeune agriculteur. Lorsque l’on achète du matériel neuf, pas du matériel d’occasion. C'est incroyable, car le prix du matériel neuf, même en prenant en compte la subvention, sera toujours plus cher que l'occasion. On est poussé à acheter du neuf car on bénéficie d'aides. »
« En m'installant ici, il était évident pour moi que je ne ferais pas la même erreur d'acheter du neuf. A aucun moment je ne me suis posé la question d'acheter du neuf. Pour des raisons économiques bien sûr, mais surtout pour la démarche. »
« J'ai tout mon matériel de vinification ici, toutes les cuves, les fûts, les bouteilles, y compris le pressoir. Tout le matériel a été acheté d'occasion sur des sites comme Leboncoin ou des sites spécialisés comme Agriaffaires. »
On fait plutôt l’exercice de chercher ensemble quel matériel est neuf : une poubelle et quelques accessoires spécialisés, pas plus.
« Parfois, on achète des choses un peu cassées, un peu sales. Bien sûr, cela demande plus de travail pour les remettre en état, mais il serait dommage de ne pas utiliser ce qui existe et ce qui fonctionne. »
" Mon pressoir a 40 ans, et cela fait 40 ans qu'aux vendanges, il presse le raisin. ”
Le matériel d’occasion bonifierait-il le vin ?
L'utilisation d’un équipement agricole d'occasion est une opportunité pour produire un vin naturel explique Géraldine.
« Pour le vin naturel, c'est encore plus intéressant car les levures du raisin se retrouvent souvent dans les cuves, le pressoir, etc. Le fait d'avoir du matériel qui n'est pas neuf rend les choses plus simples. Il y a toujours des souches de levures qui réapparaissent et qui permettent de fermenter les vins. »
Dans la philosophie de “consomme mieux” de Géraldine, le "mieux" se trouve dans l'achat d'occasion qui est un réflexe, tant sur le plan personnel que professionnel.
« A partir du moment où je me dis ' tiens j'ai peut-être ce besoin-là dans ma vie, mon premier réflexe c'est Leboncoin. Amazon c'est rayé de la carte. Ma lutte anti-Amazon c’est Leboncoin. »
Le fruit de la passion et de l’engagement
La cohérence - absolue - et la proximité sont au cœur de la démarche de la Têtue. Géraldine a tout d’une professionnelle hors pair du réemploi. Une question que l'on pourrait se poser à la lecture du portrait de Géraldine est : quelle détermination ! Et pourquoi se donner autant de mal ? Elle le résume en une phrase :
« Je fais ça pour apporter une nouvelle façon de produire le vin, de vendre le vin et de consommer de vin. »
Où retrouver Géraldine ?
La Têtue Vins, 3 Rue Grobon, 69001 Lyon
La cave sur Instagram : la_tetue_vins
Photos et interview par Maurane Nait Mazi