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“La seconde main, pas si écolo que ça” selon Envoyé spécial. Le vrai du faux avec Maxime Delavallée

Hortense de Montalivet
17 décembre 2024
17 décembre 2024
Temps de lecture : 6 min

La marketplace CrushON est un acteur de la seconde main qui permet aux marques et aux distributeurs (grands magasins et marketplaces) de lancer leur offre de seconde main, en ligne et en boutique. Depuis 6 ans, cette offre de services permet de s’approvisionner, de penser et de développer la seconde main textile avec pour ambition de démocratiser la pratique. Comme de nombreuses parties prenantes de ce secteur, cette entreprise s’est étranglée devant le reportage d’Envoyé Spécial "Very bad fripes ?" diffusé le 21 novembre dernier sur France 2.

CM-CM.fr a relevé plusieurs affirmations mises en avant dans cette vidéo et les a soumises à Maxime Delavallée, cofondateur de CrushON et président de la Fédération de la Mode circulaire. Toutes expliquent que la seconde main ne seraient "pas si écolo que ça". Vraiment ?

"Very bad fripes" ou fripe bashing

1. Le reportage d’Elise Lucet "Very bad fripes" expliquait sur France 2 le 21 novembre dernier à 00.32 minutes: "En France, on achète. En France, on jette, mais en France, on ne sait pas trier". Qu’en pensez-vous ?

Maxime Delavallée : Cette affirmation qu’on trouve vers le milieu du reportage “Very bad fripes” est complètement fausse! C’est tout le contraire! L’industrie française du tri textile est l’une des plus structurées et performantes au monde. Comment peut-on affirmer des choses aussi peu remise dans le contexte. Il aurait plutôt fallu rappeler que la France a été le premier pays à créer une filière REP (Responsabilité Élargie du Producteur) dédiée aux textiles dès 2007!

De plus, en 2023, plus de 188 000 tonnes de textiles ont été triées par des opérateurs conventionnés Refashion, dont 85 % sur le territoire national. Les taux de réemploi, de recyclage et de valorisation sont impressionnants. Plus de 99 % des textiles collectés sont valorisés sous une forme ou une autre, avec seulement 0,15 % enfouis ou incinérés sans valorisation!

On est vraiment loin des clichés ou des dérives mises en avant par les détracteurs de la fripe!

2. A travers un exemple concret, l’Envoyé Spécial explique que "le marché de la seconde main est complètement internationalisé". A l’aide d’un jean, "la star des fripes", comme est appelé ce vêtement, il est affirmé que "ce jean, je l'ai acheté dans une friperie. Est-ce qu'il vient d'ici ? Est-ce que c'est possible de le savoir ? Vous ne pouvez pas le savoir". Est-ce que c’est le cas ?

M. D : C’est ni tout à fait faux, ni tout à fait vrai. Envoyé spécial manque clairement de nuances. Le marché de la seconde main est à l’image de toute notre économie: c’est un marché qui fonctionne sur un système mondialisé. Tout comme le marché de la première main textile. Mais pour autant, ça ne signifie pas qu’il est impossible de connaître la provenance d’un vêtement. Encore une fois, tout comme dans l’industrie textile neuve.

Pour le consommateur final, que ce soit en première main ou en seconde main, la traçabilité est souvent partielle ou incomplète car il n’existe pas encore de système uniformisé de traitement de données à l’échelle. Mais l’affirmation selon laquelle on ne pourrait jamais savoir d’où vient un vêtement est exagérée.

En France, des efforts constants sont faits pour favoriser une économie circulaire plus locale et réduire les flux internationaux. Si une partie des vêtements triés est exportée - notamment la portion qui ne trouve pas de débouché localement -, le volume de réemploi sur le territoire croît rapidement grâce à des initiatives visant à renforcer l’offre locale.

Des entreprises comme la nôtre, CrushON, collaborent justement avec des centres de tri français pour connecter les vêtements triés aux circuits locaux des enseignes historiques de la mode, que ce soit en boutique ou en ligne. Et nos efforts sont exponentiels!

3. De façon très claire et nette, la journaliste assène dans le reportage que "La friperie, évidemment, c'est mieux que la fast fashion, mais ça n'est pas si écolo que ça". Est-ce que vous partagez cette vision ?

M. D : Alors là, c’est totalement faux! En terme d’habillement, de consommation du textile, la seconde main est au contraire l’une des solutions les plus efficaces pour réduire l’empreinte carbone de l’industrie textile! C’est complètement absurde d’affirmer le contraire!

Et ce n’est pas compliqué à prouver: on sait que plus de 70 % de l’impact environnemental d’un vêtement se concentre dans sa production: culture des matières premières, filature, teinture, assemblage… En comparaison, sa fin de vie ne représente qu’environ 2 % de son empreinte carbone. En achetant de la seconde main, on évite justement de participer à cette production très polluante. Donc déjà, votre vêtement de seconde main, il est plus de moitié moins polluant que votre vêtement neuf. Je rappelle que selon les données du Ministère de la Transition Écologique et de l’ADEME, prolonger la durée de vie d’un vêtement peut réduire son empreinte de 50 à 90 %.

Donc bien au contraire, la seconde main est une réponse directe et puissante aux défis environnementaux actuels, bien plus que la fast fashion.

4. Est mis en avant également dans le reportage, l’impact carbone du trajet emprunté par un vêtement de seconde main. Y est affirmé par exemple que "La fripe, comme le neuf, fait elle aussi le tour de la planète avant de rejoindre nos placards (...) Mon jean jeté dans la benne en bas de chez moi a de grandes chances de passer par ici". Etes-vous d’accord ?

M. D. : Encore une fois, cette affirmation de la journaliste mérite d’être nuancée. Une partie des vêtements de seconde main triés en France est exportée, certes, mais cela concerne surtout ceux qui ne trouvent pas preneur sur le marché local. En réalité, environ 60 % des textiles triés en France sont réemployés, incluant ceux vendus localement et ceux exportés.

Les images du reportage qui montrent des montagnes de vêtements dans certains pays importateurs soulignent un problème réel, mais c’est clairement pas le reflet de la majorité de nos pratiques en France. Il faut également garder en tête que ces montagnes de textile sont alimentées chaque jour par des vêtements d’ultra fast fashion qui abondent partout dans le monde.

Et le problème est surtout là à mon sens. Il est en effet essentiel de rappeler que le problème principal reste l’ultra fast fashion, et non la friperie. Je déplore que le reportage ne contextualise pas assez le problème de la pollution textile. Ce sont en effet les vêtements neufs, produits en masse et de faible qualité, qui saturent les chaînes de tri mondiales, consomment la majorité des ressources dédiées au secteur de l’habillement et exploitent les travailleuses et travailleurs dans des conditions inhumaines. Avec 100 milliards de vêtements produits chaque année dans le monde, réguler cette surproduction est la priorité numéro 1 pour arrêter la surcharge du système tout entier de gestion de la fin de vie des vêtements. Faire du fripe bashing à ce stade où les enseignes d’ultra fast fashion se multiplient ne me semble pas du tout pertinent. Ce n’est pas prendre le problème par le bon bout.

Surtout qu’en France, on est très loin d’être un mauvais élève en terme de gestion des stocks: depuis plusieurs années, des efforts croissants sont menés pour inciter au réemploi des textiles sur le territoire. Notamment via des collaborations entre centres de tri et acteurs locaux de la seconde main.

5. A la fin du reportage, il est précisé que "L'impact carbone d’un vêtement issu d’une friperie est "plus ou moins le même par rapport au neuf, sauf que contrairement au neuf, on ne va pas détruire les ressources, on n'a pas besoin de retrouver de la matière". Est-ce que ça vous semble correct ?

M. D. : Le reportage martèle cette idée en effet. C’est une autre manière de dire que la fripe est "à peine plus écolo" qu’un vêtement neuf. Je le redis: cette affirmation est fausse et archi-fausse. Encore une fois, l’impact carbone d’un vêtement de seconde main est largement inférieur à celui d’un vêtement neuf.

On a vu plus haut qu’un vêtement de seconde main permettait d’éviter les étapes les plus polluantes de la production : culture des matières premières, filature, teinture, assemblage… Mais il permet aussi d’économiser des ressources naturelles en limitant grandement les déchets textiles. En France, moins de 0,15 % des textiles collectés sont enfouis ou incinérés sans valorisation. Un chiffre absolument pas comparable au nombre de vêtements neufs de mauvaise qualité peu valorisable. La filière française de tri doit être améliorée bien sûr, mais elle reste performante en l’état.

Donc, même en tenant compte de l’impact du transport -qui est également à mettre en perspective avec celui de la première main-, un vêtement de seconde main est sans commune mesure une solution bien plus écologique qu’un vêtement neuf! Le reportage aurait pu le préciser, parce que la différence est vraiment de taille.

Chez CrushON, on a largement pris le temps d’étudier la question et on en est persuadé: étendre la durée de vie d’un vêtement et la durée de vie de sa matière représente la clé pour construire un futur désirable pour la mode. Ne tombons pas dans la désinformation voulue par certains et restons concentrés sur le cœur du sujet. Pour que vivent la mode et la circularité!

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Catégorie : Fripe bashing

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