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“J’avais la fibre seconde main, mais pas la conscience” : comment le troc m’a libéré

Clémence Aulas
26 novembre 2024
26 novembre 2024
Temps de lecture : 4 min

Ma conso, ma seconde main (2/3) La fast fashion alimente les achats frénétiques, même chez les adeptes de la seconde main. Dans cette nouvelle chronique, Clémence Aulas raconte comment elle a brisé ses habitudes d’achat. Grâce au troc, elle s'est délestée et a transformé son rapport aux objets. Témoignage.

Le troc est rentré dans ma vie comme moyen de consommation évident, à un moment de baisse de pouvoir d’achat inattendue. La citadine dépensière que je suis n'a pas hésité longtemps. Pour moi, pour la maison et les grandes occasions : le troc m'a permis de trier mes besoins et de les recentrer. De vider mes placards trop plein et de redonner vie à des objets inutilisés.

Addict à l’habillement

La vingtaine, les années 2010 et un travail en hyper-centre dans une grande ville : le décor d'une vie de surconsommatrice est planté. Zara, H&M, Bershka et leurs petites sœurs…

Qui peut se targuer de n'avoir jamais fait la tournée régulière et frénétique de ces grandes enseignes alléchantes ? Bon moi c’était chaque semaine, je le confesse. Sur ma pause déjeuner, je répondais joyeusement à l’appel de la session shopping hebdomadaire.

Une heure récréative pour me récompenser de ces journées de travail intenses… Enfin ça, ce que je croyais. J’y façonnais mon style tout en restant dans les tendances. Et me récompensais de mes premiers salaires de jeune active avec ce petit haut à 19 euros. Je le méritais bien, non ?

Une recherche insatiable de renouveau et de petits prix

Ah Le prix, le fameux prix ! Si mes souvenirs sont bons, les deux enseignes phares de cette période, H&M et Zara, proposaient des prix si attractifs qu’un total look était possible pour un peu moins de 100 euros. Ça tombait bien, je n’aimais pas être vue deux fois dans la même tenue. Il faut dire que dans mon travail en agence de communication, en poste au contact de la clientèle, une idée reçue nous menait la vie dure: c’était un jour, une tenue pour rester "dans le coup".

Ce que la fast fashion permettait, c’était ça : un changement apparent, à pas cher, qui calque facilement les codes dictés par les magazines (oui oui il y a 15 ans le poids de la presse féminine impactait énormément ma façon de m’habiller), les blogueuses et les stars à la mode. J’achetais un vêtement pour le porter ou non (une grosse partie ma garde-robe est ainsi restée sur le carreau ou déposés dans les bennes Le Relais) et je renouvelais l’opération à l’infini.

À cette époque, la seconde main fait déjà partie de ma vie, mais ne représente pas du tout l'essentiel de ma consommation. Là aussi, j'achète par impulsion, attirée par les prix abordables des articles d'occasion.

Une maman dans les vêtements

Pré-ado, mon rapport au prix (j'annonçais souvent le prix de mes vêtements) et au vêtement m'avait été fait remarquer. Pourquoi ? Ma maman travaillait à La Redoute. Avant la refonte digitale, la marque était sous un système de vente par correspondance (VPC) via catalogue et les commandes se faisaient au téléphone, ma mère était téléopératrice. Elle avait pour habitude de passer des commandes en masse, de payer en plusieurs fois, d’avoir des promos et autres bons tuyaux comme un catalogue d’articles remisés appelé "Les Aubaines". En travaillant dans le secteur du prêt-à-porter, elle m’a transmis cette façon de consommer l’habillement : "à pas cher" et on renouvelle !

Avec une adolescence pareille, impossible de résister aux sirènes des soldes une fois l'âge adulte atteint. La technique diffère, mais le cérémonial est le même qu'à l'époque des “Aubaines” : connexion à minuit pile sur Zara.fr pour ne pas louper la bonne affaire, repérée la veille.

Troquer la fast fashion

Après des années de consommation irréfléchie de vêtements, plot twist ! Fin 2021, je connais une baisse de revenus brutale après un licenciement. Pas le choix de commencer à penser économies. Parmi les premières choses que je m’oblige à mettre en place pour optimiser cette chute de pouvoir d’achat : réviser l’abonnement de téléphone qui me coutait les yeux de la tête, réduire drastiquement les restaurants et autres verres en terrasse, repenser mes achats alimentaires grâce à l’arrivée des enseignes anti-gaspi.

Restait le plus gros dossier : ma consommation de vêtements, accessoires et autres achats liés à la déco de la maison. Pour m'aider, j'avais décidé de passer par une drastique phase de "désintoxication": interdiction pendant trois mois d'acheter quoique ce soit. Neuf ou seconde main. Histoire de remettre les pendules à l’heure. Soit retrouver la valeur des choses et mieux comprendre leur importance à mes yeux.

La trocquerie et tout ce qu’elle révèle


À ce moment là, je rencontre Agathe Violain, qui lance un projet intitulé "La Trocquerie". Cet espace ressemble à une boutique lambda, sauf que c'est du troc. Les clients doivent d'abord s'abonner puis ils peuvent déposer leurs objets inutilisés et repartir avec de nouveaux.

Le cercle me semble vertueux et le projet avoir du sens. Il réveille chez moi l’envie de m’impliquer. Je deviens donc bénévole, j’aide au rangement, à la communication de la structure et bien sûr je deviens adhérente. Je m'abonne d'abord au mois, pour tester et tirer les premiers enseignements. Puis je commence à devoir réfléchir aux premiers objets à déposer. Mais alors, comment choisir ? La grande consommatrice en moi ressort immédiatement et avec elle son lot de questions pressantes : qu'est ce qu'un objet en trop dans mon quotidien ? Qu’est-ce que je viens chercher dans le fait de troquer puis retroquer ? De nouvelles questions émergent : quelle fourchette d’économie le troc me permet-il de réaliser dans mon budget vêtements ? Cette boutique inédite me permet-elle aussi de remplir la case “cadeaux à mes proches pour les fêtes” ?

Je suis vite convaincue. Je renouvelle spontanément l’expérience au bout d’un mois de test et passe à l’abonnement annuel. La troquerie regorge de pépites. Elle n’a pas de stock. Tout change d’une semaine à l’autre en fonction des objets apportés. On y retrouve tout pour la maison et les penderies de toute la famille. Le dépôt d'une chaise m'a valu un court moment de gloire au 66 minutes : le doc sur M6 au sujet du grand retour du troc.

"Je troque plus que je n’achète"


Cette rencontre avec la trocquerie a été transformatrice. J’avais la fibre "seconde main", mais pas la conscience. Consommer raisonnablement n’est pas inné.

En deux ans, ma consommation a beaucoup évolué. Un objet rentre ? Un objet sort ! C’est surtout dans le prêt-à-porter que c’est le plus flagrant : je troque plus que je n’achète (des achats qui restent à 95 % de seconde main). Les économies pour mettre de côté et me faire plus plaisir de façon immatérielle sont considérables : entre 200 et 300 euros mensuels. Adieu les achats immédiats et autres passages en boutique sur un coup de tête qui mettent à mal mon compte en fin de mois.

Sur le plan psychologique, le changement est phénoménal. Je ne supporte plus le fait d'accumuler. Je ressens du stress quand ma penderie est trop pleine ; le twist est bien là. Ce que je possédais en abondance sans sentiment de satiété est devenu limité et apprécié. Avec ces changements est née l’envie de prêcher la bonne parole du troc autour de moi.

De la Trocquerie est né le projet éducatif Trocool dans lequel je m'investis. Pour les écoles, les collectivités, les entreprises, on organise des conférences, ateliers et journée de troc pour sensibiliser et éduquer à faire des économies en s'amusant tout en devenant plus conscients de notre impact. De surconsommatrice chez Zara je suis devenue prophète du troc… La même hyperactive !

Catégorie : Ma conso, seconde main - Industrie de la mode

Le média de l'économie circulaire, de la seconde main et des ressourceries

Cet article s'inscrit dans la série CMCM "Ma conso, ma seconde main". Clémence Aulas, spécialiste de l’achat de seconde main y revisite ses habitudes de consommation. Ancienne accro au shopping, aujourd'hui convertie au troc, elle montre qu'une vie de consommation circulaire, libérée des achats impulsifs, est non seulement agréable, mais aussi profitable.

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