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Au cœur de l'économie circulaire du pire : la décharge d'Akouédo

Maurane Nait Mazi
8 septembre 2024, 19h30
8 septembre 2024, 19h30
4 min

Crédit : Droville

BOOK — Dans son livre-enquête sur le crime organisé qui commence en Côte d'Ivoire, la chercheuse et autrice Audrey Millet aborde la tristement célèbre décharge géante d'Akouédo en Afrique. Dans ce "vide-greniers" infernal et toxique, les "fouilleurs" creusent à la recherche du moindre déchet recyclable. Au prix de leur vie.

Akouédo, la décharge qui empoisonne l’Afrique

Au nord-est d'Abidjan, la décharge d'Akouédo s'élève comme un monument de misère et à la pollution. L'autrice de L'odyssée d'Abdoul décrit ce lieu avec une acuité saisissante : "Le caniveau géant à ciel ouvert, monticule d'ordures en tout genre, rejette les restes de l'humanité." Cette montagne de déchets, devant fermer vingt ans après sa création en 1965, continue de croître, engloutissant chaque année 550 000 tonnes de détritus.

« Abdoul la compare aux chutes Victoria : en guide de trombes d’eau, elle vomit des rebuts industriels, biomédicaux, des déchets domestiques ou issus des abattoirs, des textiles, de la tôle, des cannettes et des piles. »

Ventre putride de la Côte d'Ivoire

Akouédo incarne le paradoxe cruel d'une Afrique affamée, mais gonflée par les déchets occidentaux. C'est dans cet environnement que naît Abdoul en 1984, personnage central de l'enquête. Son histoire, "passant du ventre maternel à un monde d'ordures", illustre le destin de nombreux Africains pour qui cette décharge nauséabonde devient un "gagne-pain".

Risque écologique et sanitaire à Abidjan

L'impact écologique et sanitaire sur les populations environnantes est catastrophique.

« Epluchures, téléphones portables, tee-shirt, ces petits squelettes accumulés puent l’aubergine pourrie, le bois moisi, la pisse âcre et le mélange de sulfures, d’ammoniac et de méthane caractéristique de la chair en décomposition - car même les rats, gros comme des chats, ne résistent pas à Akouédo. »

Comme le souligne l'autrice, "les populations environnantes subissent sans cesse ces nuisances pestilentielles, qui leur causent maux de tête et vomissements, jusqu'à leur décès précoce." Les maladies prolifèrent : paludisme, gastro-entérites, affections respiratoires. Les nouveau-nés n'échappent pas à ce poison et naissent "déjà empoisonné, handicapé mental, porteur de troubles du langage ou de difficultés motrices."


Les fouilleurs d’Akouédo

Malgré ces conditions inhumaines, Akouédo est devenu un source de revenus pour des milliers de personnes. L'autrice présente ces "fouilleurs", véritables archéologues de la misère moderne : "Trois mille fouilleurs, soldats malgré eux du capitalisme, fondent ainsi tous leurs espoirs sur les détritus d'Akouédo, au péril de leur vie."

« Plutôt que de devenir voleurs, ils préfèrent être fouilleurs. »

Ces hommes et femmes, souvent des migrants des pays voisins, passent leurs journées à trier les déchets, à la recherche de matériaux recyclables. "Les plus acharnés peuvent empocher 4 000 francs par jour," nous apprend l'auteur, une somme considérable comparée au salaire moyen en Côte d'Ivoire. Cette économie alimente une chaîne de valeur plus large : "Des fabricants locaux de pots, de chaussures ou de bouteilles de bière, basés dans la zone industrielle de Yopougon, rachètent aussi à bas prix les trouvailles des fouilleurs." Autant de produits, selon la chercheuse, "qui engraissent directement les dirigeants d’entreprises."


Fermeture et réhabilitation de la décharge : une renaissance en trompe-l'œil

Face à ce désastre environnemental et humain, les autorités ont finalement décidé de fermer la décharge en 2019. Un projet ambitieux de réhabilitation a été lancé : "Les magnifiques plans montrent un parc urbain écologique abritant savane, forêt et mangrove, une plateforme de traitement et de valorisation du biogaz (émis par les déchets organiques enfouis), un centre de formation et de documentation sur l'économie circulaire, la valorisation des déchets et leur recyclage." Audrey Millet est sceptique quant à l'avenir des milliers de personnes qui dépendaient d'Akouédo pour leur survie : "Quant au traitement des sols empoisonnés et à l'avenir des malheureux qui vivaient d'Akouédo, aucune information ne filtre."

La misère d'Akouédo n'est que la partie visible d'un iceberg de problèmes sociaux plus profonds. L’autrice établit un lien direct entre la pauvreté extrême et les réseaux criminels qui prospèrent à Abidjan : "Exposés à la souffrance dès l'enfance, terrassés par la pauvreté, écrasés par leurs propres gouvernements, des Ivoiriens partent également pour toucher du doigt l'espoir. Mais une bonne partie d'entre eux ne donne plus jamais de nouvelles."

Avis sur le livre l'Odysée d'Abdoul : de Abdijan en Afrique à Prato en Europe

Audrey Millet, L'odyssée d'Abdoul : enquête sur le crime organisé. éd. Les Pérégrines, août 2024

Retrouvez le témoignage d'Abdoul, enfant de la décharge, tailleur ivoirien pris malgré lui sur la route de l'esclavage en 2015, du désert à la Méditerranée, en passant par les camps lybiens jusqu’aux ateliers clandestins de Prato. Abdoul nous dévoile les dessous d’une économie circulaire mortifère.

Une exclusivité CMCM à découvrir bientôt.

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