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Vinted reprend le "mouvement" cher à Emmaüs : la réaction de Maud Sarda

Maurane Nait Mazi
21 janvier 2025
21 janvier 2025
Temps de lecture : 5 min

Vinted s’approprie le terme "mouvement", étroitement lié à l’identité d’Emmaüs. Maud Sarda réagit.

CM-CM.fr constate un mot central dans la communication de Vinted en France : "mouvement". En appelant à se mettre en action dans des spots publicitaires et sur les réseaux sociaux, le site phare de la seconde main s'approprie un terme lié à l'histoire du mouvement Emmaüs, toujours symbole d'engagement social.

Vinted, l'élan marchand

Depuis plus de 70 ans, le terme "mouvement" est accolé à celui des associations et des groupements Emmaüs. Il évoque un élan collectif, une générosité partagée et un engagement solidaire envers les plus démunis. Ce mot, qui a notamment accompagné la construction d'un modèle économique basé sur le don et le réemploi, est aujourd'hui repris par Vinted dans une logique marchande pour encourager l'engagement sur la plateforme.

Fin 2023, le mot "mouvement" domine la communication de Vinted. Pour ses 10 ans en France, la plateforme lance une campagne avec le slogan : "Poursuivez le mouvement avec Vinted."

“Poursuivez le mouvement” - Vidéo de la campagne de Vinted en novembre 2023

Dans ses collaborations sur les réseaux sociaux, Vinted décline ce terme avec des slogans comme "le mouvement, c'est vous ; le mouvement, c'est moi", valorisant ses utilisateurs comme moteurs de cette dynamique. La créatrice de contenu Elodie Rencker illustre ce message dans une vidéo depuis son dressing, où elle partage son passage à la seconde main et son rôle de prescriptrice de la plateforme, en partenariat avec Vinted.

"Le mouvement @vinted, c’est vous, c’est moi" - Instagram. Collaboration commerciale entre lecoindecolie et Vinted en novembre 2023.

Cette appropriation suscite des interrogations, notamment au regard des alertes récurrentes d’Emmaüs sur le détournement des dons en objets de revente. Nous avons profité d’un grand entretien avec Maud Sarda, directrice générale et fondatrice de la plateforme Label Emmaüs pour connaître son avis sur les implications de cette reprise.

"Si Vinted est si puissant en France, c’est grâce à Emmaüs"

"Parler de mouvement sans intégrer les valeurs qui y sont attachées est un choix discutable", commence Maud Sarda quand on l’interroge sur le sujet. Avec 23 millions d’abonnés en France, le premier marché de Vinted, la plateforme surfe sur une pratique bien ancrée dans les habitudes des Français nous explique la fondatrice de la plateforme solidaire créée en 2016. "Si Vinted est si puissant, c’est grâce à Emmaüs, la Croix-Rouge, le Secours populaire et toutes ces associations qui font vivre la seconde main depuis des années", poursuit-elle. Emmaüs et ces structures solidaires ont popularisé la seconde main bien avant que cela ne devienne un modèle lucratif pour les acteurs du e-commerce. Cet héritage, pourtant, est peu reconnu, à en croire la femme qui a fait basculer Emmaüs dans le numérique.

"Ils n'ont jamais eu un engagement à la hauteur"

Pour Maud Sarda, Vinted n’est pas seul à profiter de cet élan. "Leboncoin s’est développé comme ça, c’est aussi grâce à ce tissu de réemploi solidaire." Mais, selon elle, ces entreprises restent dans une logique purement mercantile.

"Les acteurs marchands d’aujourd’hui ont une responsabilité sociétale qui est énorme. Là où nous privilégions l’insertion et le réemploi solidaire, eux restent concentrés sur des logiques ultra-libérales.", développe-t-elle. Chez Label Emmaüs, coopérative mêlant solidarité et économie circulaire, le modèle est différent explique Maud Sarda dans un grand entretien à CM-CM.fr. Mais peu de plateformes en suivent l’exemple déplore-t-elle.

En 2020, Maud Sarda a rencontré Thomas Plantenga, PDG de Vinted et lui a fait savoir en personne. Le dirigeant cherchait des idées pour rendre sa plateforme plus solidaire confie-t-elle à CM-CM.fr. "Je lui ai présenté des pistes concrètes, mais elles n’ont pas abouti. Leur modèle, dicté par des investisseurs comme Goldman Sachs, n’est pas compatible avec de réels engagements sociaux", poursuit-elle. Parmi les idées de la cheffe d'entreprise : embaucher des personnes en insertion dans leurs entrepôts ou transformer les annonces invendues en dons pour des associations comme Label Emmaüs. Des propositions restées sans suite, tout comme ses échanges avec Leboncoin. "Je les ai rencontrés plein de fois. Pour moi, ils n’ont jamais eu un engagement à la hauteur de ce qu’ils devraient avoir et de leurs moyens."

Voir plus sur la rencontre avec Thomas Plantenga, PDG de Vinted

"Si tu ne le portes pas, donne-le" : Emmaüs joue la provocation

En mars 2023, Emmaüs est en colère. Le mouvement frappe fort avec une campagne “si tu ne le portes pas, donne-le”. Ce slogan détourne celui de Vinted, “si tu ne le portes pas, vends-le”. Le réseau solidaire déploie son message dans l’espace public, mais aussi sur la plateforme elle-même. Un compte Emma_us publie de fausses annonces, utilisant la provocation pour défendre un modèle fondé sur la générosité et le don.

Un message qui résonne encore. "Attention à ne pas détruire quelque chose qui est véritablement entré dans les usages", avertit Maud Sarda à propos de Vinted, près de deux plus tard. Tout en critiquant de nombreux aspects de la plateforme, elle ne souhaite pas voir disparaître son concurrent. "Évidemment que Vinted rend de sacrés services à plein de gens !" concède-t-elle à CM-CM.fr.

Le média de la seconde main
Maud Sarda rencontre le PDG de Vinted, Thomas Plantenga. Elle raconte comment la seconde main peut être plus sociale et solidaire.
Retrouvez notre grand entretien avec Maud Sarda. Amazon, Shein, Vinted, crise du don… La fondatrice de Label Emmaüs décrypte pour CM-CM.fr le paysage ultra concurrentiel des marketplaces en 2025 et somme le politique et les banques publiques de s’investir au profit d’une seconde main social et solidaire.
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