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Shein détrône Vinted : l’annonce suscite une avalanche de réactions négatives sur les réseaux sociaux dans le milieu de la seconde main et la fripe. La nouvelle tombe dans un contexte déjà difficile : loi anti-fast fashion bloquée, faillites en série, saturation des collectes, pression des prix et concurrence accrue des plateformes.
Selon une étude de l’application de cash back Joko, publiée le 27 janvier 2025, Shein est devenu l’enseigne où les Français ont le plus dépensé en 2024. Relayée par l’AFP, l’information se propage vite. Depuis 2020, Vinted dominait le marché. Mais face à l’ascension rapide du géant chinois, son avance s’effrite. Shein numéro 1. Pour les acteurs de la seconde main, le constat est amer.
L’illusion de la mode responsable s’effondre ?
"Je croyais que la seconde main pouvait gagner, mais en réalité, Shein et compagnie raflent tout", lâche, désabusé, un gérant de friperie interrogé par CM-CM.fr. Voir Shein “partout” a de quoi miner le moral, dit-il.
La gérante du dépôt-vente parisien Cinq Août, partage ce sentiment et qualifie la nouvelle d'angoissante. Elle fustige l’argument du "budget serré" régulièrement brandi sur les réseaux pour défendre l’ultra fast fashion : "Quand on parle d’impacts écologiques, de conditions de travail désastreuses, ou de vêtements qui tiennent à peine quelques mois… aucune réaction." À ses yeux, l’indifférence règne, encouragée par une société qui pousse "sans cesse à consommer plus" et "où le plaisir immédiat l’emporte sur tout".
Dans le quartier des Batignolles et 600 mètres plus loin, même amertume chez Marine Chotard qui tient la boutique Miss Sugar Can. "Shein est atroce", dit-elle à CM-CM.fr, mais Vinted ne vaudrait pas mieux pour la spécialiste du vintage. Elle pointe du doigt la carte "green" dans la communication des plateformes, ce qui l'énerve et, selon elle, fragilise peu à peu le commerce de proximité, même à Paris !
"La fast fashion, moi je la vois"
L’arrivée en France de Vinted aurait pu être un tournant dans la consommation. Mais les chiffres racontent une toute autre histoire. "Shein est la honte de notre génération", tranche sans détour Les Sales Gosses, un dépôt-vente parisien dédié aux enfants qui vient d’ouvrir, dans un message adressé à CM-CM.fr.
Une employée d’Emmaüs dans les Hauts-de-Seine, interrogée sur la crise du textile, dresse un constat amer : "Les clientes revendent sur Vinted pour financer leur panier Shein". Après dix ans sur le terrain, elle voit un système circulaire… "mais pas dans le bon sens du terme". Résultat ? Des vêtements de piètre qualité, portés à peine quelques fois, finissent rapidement en benne. "La fast fashion, moi, je la vois", soupire, désabusée, la curatrice.
La vague fast fashion noie Emmaüs et les associations
En 2022, Emmaüs collectait déjà 120 000 tonnes de textile, soit 60 % du volume national. Aujourd’hui, des centres retirent leurs bornes de collecte. "On ne sait plus quoi faire de ces vêtements qui ne valent rien", confie un bénévole de la Croix-Rouge française à CM-CM.fr en début d’année.
Dans les centres de tri, la situation est catastrophique. Les dons textiles explosent, mais la qualité s’effondre alerte Tarek Daher, délégué général d’Emmaüs France dans un entretien pour Vert. La seconde main solidaire se retrouve piégée : elle ne parvient plus à absorber le flot continu de vêtements de mauvaise qualité… qui ne trouve pas preneur sur les plateformes comme Vinted.
Vinted : "succursale de la fast fashion"
La seconde main n’a pas été remplacée par Shein, elle l’accompagne. Près de 47 % des acheteurs de Vinted achètent aussi chez Shein. Un cercle vicieux où la fast fashion et la seconde main coexistent.
Lolita Cattelan Bour, fondatrice du e-shop Bichette Kids, refuse de jouer le jeu. "Shein ne répond à aucun besoin et participe à l’économie de la honte", confie-t-elle à CM-CM.fr. Ancienne acheteuse pour de grands groupes textiles, elle a misé sur une reconversion dans le vintage vendu en circuit court. Mais sans régulation stricte, l’entrepreneuse craint un combat perdu d’avance.
Maud Sarda, directrice générale de Label Emmaüs, et figure emblématique de l’économie sociale et solidaire, porte cette critique sur ses réseaux sociaux et dans un grand entretien avec CM-CM.fr. Elle y dénonce un climat de "guérilla marketing", une offensive commerciale où les boutiques solidaires perdent face aux géants du e-commerce, redoublant d’ingéniosité pour brouiller les lignes. "Il y a urgence à adopter la loi", visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile, martèle-t-elle. Adopté à l’Assemblée nationale, le texte attend toujours d’être examiné au Sénat. Mais en attendant, Vinted consolide son rôle de "succursale de la fast fashion", selon elle.
"Vinted est quand même en train de devenir un peu la succursale de la fast fashion, ça c’est assez grave" s’alerte la cheffe d’entreprise au sujet de son concurrent.
Pour la fondatrice de la plateforme du mouvement Emmaüs, le lien entre la plateforme lituanienne et Shein est à établir : "Beaucoup achètent sans scrupule sur Shein en sachant qu'ils pourront revendre sur Vinted si ça ne leur va pas". Cette description ne colle pas avec l’image que Vinted cherche à véhiculer. L'ironie ? En 2020, Thomas Plantenga, PDG de la plateforme, demandait à Maud Sarda comment rendre sa plateforme "plus sociale et solidaire".
Parmi les centaines de millions d’annonces sur Vinted, CM-CM.fr recense 26 millions de vêtements Shein, souvent à peine portés et revendus à prix cassés.
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