En 2020, Maud Sarda, la fondatrice du Label Emmaüs, rencontrait Thomas Plantenga, PDG de Vinted. Ce dernier recherchait alors des idées pour améliorer l'aspect social et solidaire de sa marketplace en pleine ascension fulgurante. Ça tombe bien, des idées, la cheffe d'entreprise à la tête de la première plateforme coopérative et solidaire n'en manque pas. Quatre ans plus tard, elle raconte l'échange à CM-CM.fr dans le cadre d'un entretien, en constatant, avec regret, qu'aucun de ses conseils n'a été appliqué.
La concurrence est rude entre les plateformes de e-commerce, qu'elles soient de seconde main ou non. Si chacune œuvre pour un marketing toujours plus agressif pour se différencier, écraser la concurrence ou au contraire survivre, certaines n'hésitent pas à dialoguer ensemble. C'est le cas de l'entreprise lituanienne hégémonique sur le marché de la seconde main, Vinted, et son pendant 100 % solidaire, Label Emmaüs.
Bien moins connue que la boîte communautaire turquoise et blanche, la plateforme Label Emmaüs, créée plus tôt dès 2016, n'a eu de cesse d'inspirer sa grande sœur, comme le souligne une anecdote racontée par sa fondatrice, Maud Sarda, lors d'un entretien à CM-CM.fr mené mi-janvier 2025.
Thomas Plantenga, "c’est le mec cool, les cheveux longs, limite la planche de surf sous le bras"
En 2020, cette cheffe d’entreprise qui a eu l’idée de lancer le concept Emmaüs sous forme de marketplace quelques années plus tôt rencontre Thomas Plantenga, le PDG de Vinted, à Paris. “C’était au moment du Covid. Dans mes souvenirs, c’était un échange très agréable”, raconte-elle à CM-CM.fr.
Elle décrit le quarantenaire qui a repris seul les rennes de l’entreprise balte en 2017, comme un père de famille à la cool. Publicité ambulante pour la seconde main des pieds à la tête entre son tee-shirt chiné pour quelques euros et son jean loose. Si on y regarde bien, on aperçoit même quelques trous dans le tissu par-ci, par-là.
“Il a débarqué en vélo. Il venait voir sa soeur et en avait profité pour me rencontrer. C'est le mec, les cheveux longs, limite la planche de surf sous le bras”.
C’est une vidéo face camera de Maud Sarda dans laquelle elle dénonce le greenwashing de Vinted qui attire l’attention du néerlandais. "Il m'a demandé qu'est-ce que Label Emmaüs avait comme idée pour que Vinted soit plus social, plus solidaire", relate Maud Sarda.
Pourquoi Vinted ne pourrait pas inciter au don ?
Pour répondre aux interrogations de Thomas Plantenga, la jeune quarantenaire a une to-do-list toute prête. Depuis le temps qu’elle y pense à comment rendre plus vertueuse le mastodonte lituanien! Maud Sarda ne manque pas de dérouler, les idées très au clair. "Ce que je lui avais proposé, c'est que certaines annonces se transforment directement en dons d'annonces sur Label Emmaüs, par exemple. Avec un encart incitatif indiquant quelque chose du genre "Vous ne voulez pas le vendre ou vous êtes d'accord pour laisser tel pourcentage? Vous pouvez donner sur Label Emmaüs", relate-elle à CM-CM.fr.
Label Emmaüs est arrivé avant Vinted en France, l’ancienne consultante chez Accenture aurait rêvé que la compagnie balte intégre dans ses process des acteurs locaux comme les coopératives solidaires comme Emmaüs. “Je lui avait soumis l’idée hein”, nous raconte-elle. "Imaginez, la France est le premier marché de Vinted avec 23 millions d’inscrits. C'est gigantesque!".
Est-ce que ce serait très compliqué, par exemple, pour Vinted, a minima, sur son site, dans le parcours d'achat ou de revente, de diffuser un message en disant "C'est super, c'est super, tu as vendu des vêtements, tu as fait un truc pour la planète. Mais écoute, pense aussi à donner de temps en temps", s’interroge Maud Sarda.
"Il y a plein d'associations, c'est grâce à la solidarité qu’elles vivent. Vinted pourrait rediriger vers le maillage de toutes les associations en physique par exemple. Rien que ça, communiquer sur le maillage des associations en France, ce serait énorme", assure-t-elle.
Et l’insertion dans les entrepôts Vinted ? Et l’impact environnemental des ventes ?
Face à Thomas Plantenga, l’ancienne consultante ne s’arrête pas là. Après l’incitation aux dons de la part d’une plateforme qui favorise la revente par le consommateur au détriment d’un acte plus solidaire, elle l’oriente vers l’insertion, deuxième grosse mission du Label Emmaüs.
“Je lui ai proposé d'embaucher des gens en insertion dans ses entrepôts logistiques, comme nous. Si on le fait avec nos moyens moindres, Vinted peut complètement s’en emparer”, déclare-t-elle.
Enfin, en matière d’écologie, là aussi, elle propose à l’entreprise aux 600 millions de chiffres d’affaires et aux 18 millions de bénéfices en 2024 de favoriser des circuits plus courts. Objectif? Limiter la pollution liée aux transports, dont l’impact a déjà été étudié par l’ADEME)
“Il pourrait par exemple ne pas y avoir d’export à l’international”, explique Maud Sarda. La femme d’affaires voit encore plus loin: Vinted pourrait également interdire l’achat de marques de fast fashion "parce qu'aujourd'hui, il y a quand même des personnes qui achètent allègrement sur Shein par exemple parce qu'ils savent que si, ça ne leur va pas, ils le revendront sur Vinted", affirme la jeune femme avant d’ajouter :
"Vinted est quand même en train de devenir un peu la succursale de la fast fashion ça c'est assez grave. S'ils supprimaient certaines de ces marques là, ça aurait un effet énorme je pense sur les achats de fast fashion en France".
"Il y a tellement plus à faire que juste donner quelques euros à Médecins sans frontières !"
Ses conseils semblent intéresser son interlocuteur sur le moment, mais la fondatrice du Label Emmaüs craint rapidement qu’ils restent lettre morte. En cause? Le modèle économique instrinsèque sur lequel repose Vinted. “Quand on est une société de capitaux qui fait des levées de fonds à centaines de millions, on est tenu de satisfaire ses actionnaires. Encore plus quand ces derniers s’appellent Goldman Sachs. Ce n’est pas possible de faire du social et du solidaire comme on veut”.
En face d’elle, elle n’en doute pas, le PDG de Vinted est sincère et de bonne volonté. “D’ailleurs au démarrage de Vinted ou d’autres entreprises comme Black Market, c'est vraiment l'axe écologique qui a guidé les fondateurs”. Mais force est de constater que depuis leur rencontre “absolument rien n'a visiblement été mis en place”, déplore Maud Sarda auprès de CM-CM.fr.
Lorsque vous obtenez une vente sur Vinted, il y a bien aujourd’hui cette fonctionnalité qui permet de donner à Médecins sans frontières. Cette option a été ajoutée en 2022 pour soutenir à l’origine à MSF en Ukraine lors du début du conflit russo-ukrainien.
"C’est très bien, mais ça existe déjà, ça s’appelle du micro-dons", remarque la fondatrice de Label Emmaüs. "On en a aux caisses des supermarchés, ça permet de donner quelques euros… C'est pas non plus exceptionnel", ajoute-t-elle, déconfite.
"En fait il y a tellement plus à faire que juste donner quelques euros à Médecins sans frontières!", résume-t-elle, dépitée.
Vinted rend service, "mais il s’agirait de moraliser les pratiques"
Entre la marque lituanienne et la coopérative solidaire, elle espère que les idées infuseront au-delà des bonnes intentions. Pour ses 10 ans, en 2023, Vinted n’a d’ailleurs pas hésité à reprendre la thématique du "mouvement" chère à Emmaüs pour développer sa communication. Une appropriation qui laisse Maud Sarda songeuse quand on l’interroge sur le sujet: "Parler de mouvement sans intégrer les valeurs qui y sont attachées est un choix discutable". Voir plus
Pour autant, elle ne souhaite pas de mal à son concurrent. Il n’est pas question que Vinted disparaisse, bien sûr, nous assure-t-elle. "Évidemment que Vinted, ça rend de sacrés services à plein de gens! Attention à ne pas détruire quelque chose qui est vraiment entré dans les usages. Si c'est un tel succès c’est qu’il y a une raison. Mais il s'agit peut-être de moraliser un minimum les pratiques", conclut-elle.