Échouer pour mieux sauter. Le co-fondateur d’OMAJ, Paul Charon répète son nouvel adage. Placée en redressement judiciaire début 2025, sa boîte, nouveau business dans la mode d’occasion à son lancement, est devenue un exemple de ce qu’il vaut mieux éviter. Sur CM-CM.fr, l’entrepreneur livre une leçon condensée de ces quatre ans d'aventure, un témoignage rare dans l’écosystème entrepreneurial de la seconde main. Alors que l'histoire d'OMAJ s'arrête tout juste, retour sur cinq points pour comprendre son échec.
Elle s’offrait comme une alternative à Vinted en promettant du vêtement de seconde main "impeccable". OMAJ lancée en septembre 2021 était devenue dans le milieu de la mode de seconde main, une jeune pousse prometteuse. Son objectif : professionnaliser la vente de vêtements entre particuliers.
Le fonctionnement repose sur celui du dépôt-vente: des "vendeuses" déposent leurs habits à OMAJ. Ceux-ci sont défroissés, portés sur cintre, ou même parfois par des mannequins fabriqués par l’IA, puis mise en ligne sous leurs plus beaux jours. Les vendeuses touchent ensuite une commission si leur vêtement trouve acheteuse. Du C to B puis du B to C, en somme. L'innovation d'OMAJ est de déplacer le dépôt-vente en ligne et de promettre une expérience plus qualitative que Vinted.
Quatre ans plus tard, le verdict tombe : OMAJ est placée en redressement judiciaire le 8 janvier 2025. L’annonce crée la stupeur dans le monde de l’économie circulaire. Comment cette start-up qui s’annonçait comme un modèle en est arrivée là ?
Assumer ses erreurs dans la mode de seconde main
Son co-fondateur, Paul Charon, assume ses erreurs et va même plus loin : il les expose au visage de cette économie encore en quête de repères. Lassé de l’omerta qui règne sur les échecs dans l’entrepreneuriat, il a commencé ces dernières semaines à rendre public sur son compte LinkedIn l’envers du décor d’OMAJ.
"Personne dans l’entrepreneuriat ne parle de l’échec ou très peu. On a peur de se mettre des investisseurs à dos, que les clients réagissent mal alors que quand les gens se parlent et racontent la vraie vie, on se rend compte qu’on peut s’entraider", explique-t-il à CM-CM.fr.
Maintenant qu’il sait que lui et sa cofondatrice Marine Daul Mernier ne seront pas dans les futurs scénarios de redressement, il se sent plus libre pour s’exprimer.
Alors il fait le choix de libérer sa parole après plusieurs mois de silence pour "désacraliser". Et surtout "informer sur à quel moment il faut s’inquiéter!"
Interviewé par CM-CM.fr, il nous livre les 5 leçons "business dans la seconde main" qu’il retient de cette aventure OMAJ.
Leçon 1 : Bien comprendre le contexte de la seconde main
Est-ce que Paul Charon avait-il conscience de la complexité et de la versatilité du contexte de la mode de seconde main lorsqu’il lance OMAJ ? Rien n’est moins sûr.
"On a été très théorique. Le contexte a été plus compliqué que prévu: la réalité était plus chère en termes d’acquisition, le marché a été super dur, les dynamiques difficiles à contrôler, les rendements très faibles. Bref, des vents contraires tout le temps à devoir gérer", nous raconte l’entrepreneur.
Le jeune trentenaire a pris conscience sur le tard que son produit créait peu de valeur pour les coûts qu’il lui demandait. Petit à petit, "à cause d’une politique de prix hyper agressive, Vinted a transformé le vêtement en produit de commodité, c’est-à-dire un bien de consommation quotidienne, comme un paquet de pâtes par exemple", estime-t-il.
Qu’est ce que cela veut dire ? "Le vêtement de base entre particulier a perdu de sa valeur intrinsèque, il ne rapporte quasiment plus rien" alerte-t-il. Compliqué quand on veut se lancer dedans en effet.
Leçon 2 : Quand on parle seconde main, bien préparer son plan de financement
Avec le recul, le cofondateur d’OMAJ estime que se lancer dans le secteur de la seconde main demande une très bonne maîtrise du contexte financier. Les spécificités de son modèle, les types d'investisseurs qui existent et avec qui il faut traiter. "En particulier si on a besoin de faire des levées de fonds en capital", explique le co-fondateur. À cette époque, les modèles sont peu nombreux et la seconde main est en pleine croissance. Le recul manque.
Bien malin celui qui pouvait se targuer de maîtriser le secteur. Début des années 2020, il y a bien Vinted et Vestiaire Collective, seuls modèles connus dans la mode de seconde main. Mais rappelons-nous de Vinted post-2016: la start-up lituanienne montante venait de frôler la faillite. À l'époque seule la croissance compte dans le secteur. On parlera rentabilité plus tard. "Personne ne nous aurait conseillé de procéder autrement je pense", estime aujourd'hui Paul Charon avant d'ajouter: "En revanche on n'avait pas anticipé le retournement du marché du capital-risque, et notre capacité à s'y adapter était trop faible".
Pour rappel, selon la Banque publique d'investissement (la BPI), le capital-risque permet aux jeunes entreprises innovantes, qui démarrent leur activité et qui ont un fort potentiel de croissance, "d'augmenter leurs fonds propres". Ainsi, le créateur d'entreprise obtient des fonds plus facilement, "sans demande de garantie, à un stade de développement où il est souvent difficile d'obtenir des prêts bancaires".
Très versatile en peu de temps et peu connu des investisseurs, le marché de la seconde main est imprévisible. Quand il change, difficile de savoir exactement où les vents soufflent et vers qui se tourner.
"Quand il s’agit de mode circulaire, à l’époque en tout cas, l’écosystème financier n’est pas très aidant. Les banques traditionnelles ne sont pas emballées, il faut le dire", pointe le co-fondateur d'OMAJ.
Le software, l’IA, la finetch, il y a du monde pour financer derrière, mais le e-commerce, le B to C n’est plus vraiment vendeur auprès des investisseurs. "Maintenant, il faut de la “scalabilité”. Si ta boîte est pas “powered by IA", les gens ne veulent pas te suivre", déplore Paul Charon.
Leçon 3 : Être prêt à se remettre en question radicalement (très vite) sur le marché de la mode seconde main
S’il y a une leçon à retenir de toute l’aventure OMAJ, c’est bien celle-là pour ses cofondateurs : être capable de se remettre en question, être capable de changer.
"Nos décisions radicales, on les a prises trop tard. Sur le moment, on le sait en plus, qu’on n’est pas en train de les prendre", se souvient le jeune trentenaire.
"La remise en question régulière et profonde de tout ce qu’on faisait en ayant pas peur d’aller plus loin et de pousser les curseurs à fond", c’est ce qui a manqué selon lui. "Qu’est-ce qu’on peut faire carrément différent?", c’est la question à se poser le plus régulièrement possible d’après lui.
Il donne l’exemple de canaux de distribution: "Si c’était à refaire, j’essaierais d’aller vers le B to B ou le retail, on a été trop dépendant de la publicité", constate-t-il. Ou encore celui des embauches: “Est-ce qu’on était sur le bon chemin”, questionne-t-il a posteriori.
Leçon 4 : Attention aux recrutements massifs quand on est une start-up comme OMAJ
"Si tu lèves de l’argent, attention à comment tu l’utilises", prévient Paul Charon. Une des erreurs que sa co-fondatrice et lui ont fait est celle de beaucoup d’entrepreneurs, une fois la levée de fonds effectuée: embaucher. Si cela peut être une stratégie de croissance efficace, selon le modèle d’affaires lancé, elle peut au contraire s’avérer délétère.
"Attention à ne pas recruter tout de suite!", avertit l’entrepreneur. Dès les premières levées de fonds, OMAJ embauche. "J’étais hyper content de notre première équipe, des gens brillants, des CDI qui sont d’ailleurs restés jusqu’au bout", raconte-t-il. Forces de propositions, ces recrues débordent d’enthousiasme et de projets, le milieu très mouvant de l’économie circulaire galvanisant les énergies.
Alors pour aider les CDI à multiplier leurs projets, OMAJ embauche des juniors pour les seconder dans leurs tâches. Des stagiaires, des alternants, des CDD. Tout le monde avait alors l’impression d’être sous l’eau donc on a embauché beaucoup de juniors", relate Paul Charon.
Résultat: "On s’est dilué, asphyxié par autant de projets et de salaires à verser".
Leçon 5 : Ne pas se tromper sur son identité de boîte : start-up tech ou industrie ?
De la vente en ligne de vêtements issus de particulier, du Vinted en plus sérieux, un site internet, une communication jeune sur les réseaux sociaux… Quand elle commence, OMAJ pense être une start-up de la tech dans un environnement à impact.
Très vite Paul Charon réalise que ce qui lui coûte le plus cher et ce qui prend le plus de temps, c’est la manutention : recevoir les vêtements, les stocker, les trier, les réparer si besoin, les inspecter, les prendre en photo, les mettre en ligne.
La partie opérationnelle est gigantesque : "Notre but était de voir comment établir des process les plus efficaces possibles. Si on passe une minute de trop dessus, on perd de l’argent car le vêtement ne rapporte pas assez pour absorber ce temps et ces coûts", explique le co-fondateur d’OMAJ.
S’affranchir de cette partie opérationnelle, Vinted ou Le Bon Coin l’ont fait justement, leur permettant ainsi des start-ups tech à impact. "Nous, on s’est tapé tout le sale boulot", constate Paul Charon.
"Peut-être qu'après tout notre erreur, ça a été de trop vouloir rester une boîte de tech alors qu’on était en réalité une boîte industrielle. On a mal évalué toute cette partie-là de notre travail", conclut-il.


Voir aussi : L'application Unique, lancée par l’influenceuse Clara Victorya, fait don de sa carte des friperies au service public