La relève. Chaque mois, CMCM met en lumière un entrepreneur qui bouscule les codes. En 2024, Bénoni Paumier lance Réjouis, le premier site de sextoys reconditionnés. Entre hygiène, audace et tabous, découvrez les frissons d’une aventure hors-norme.
L’envers du sextoy
À Briouze, village normand plus connu pour son marais que pour ses plaisirs cachés, Bénoni Paumier a modestement initié une révolution : offrir un futur différent aux objets sexuels, trop souvent relégués au fond des tiroirs — quand ils ne finissent pas directement à la poubelle. "Le marché du sextoy est en pleine croissance, mais il est aussi marqué par un fort impact écologique. Les objets de plaisir finissent à la poubelle alors qu’ils pourraient avoir une seconde vie", explique-t-il.
Derrière le plaisir, l'industrie cache une réalité moins sexy : croissance rapide et impact environnemental préoccupant. Production massive de plastique, absence de réparation et de circuit de réemploi, recyclage complexe et peu répandu. Résultat, une industrie jetable au service d’un plaisir éphémère.
Réconcilier objet intime, argent et écologie
Face à cette situation peu réjouissante et fort de son expérience dans le financement de projets innovants, Bénoni Paumier décide de se lancer. Il quitte son poste dans un incubateur pour se consacrer à un projet totalement inédit : reconditionner les objets de plaisir. Une plateforme américaine, Squeaky, avait bien tenté l'aventure mais l'initiative semble avoir rapidement capoté.
L'idée naît dans l'esprit de Bénoni Paumier au fil de discussions avec ses amis. "Il y a un engouement pour la seconde main, mais rien n'existe pour ces objets très personnels. Pourtant, ils coûtent cher et leur usage se limite souvent à quelques essais. Il y avait là une vraie opportunité", explique l'entrepreneur. Lui qu'aucun parcours ne prédestinait à prendre ce virage professionnel fait sourire ses interlocuteurs, il le sait.
Le reconditionnement des sextoys
Et pourtant "on ne plaisante pas avec l’hygiène, surtout ici." précise l’entrepreneur d’un ton blagueur. Bénoni Paumier souhaite offrir un cadre professionnel rassurant qui manquait pour lever les blocages. "L’obstacle principal à l’adoption, c’est l’hygiène. Si je veux convaincre, je dois garantir une sécurité totale."
Les sextoys passent par un processus de désinfection, une technologie développée avec un médecin, avant d’être expédiés dans des emballages discrets. Offrir une alternative fiable et anonyme. Car "personne n’a envie de connaître l’histoire de la première vie de l’objet. Ce que les clients veulent, c’est une expérience comme pour un produit neuf." précise-t-il.
Fausses annonces Vinted : un marché caché
Avant de se lancer, Bénoni Paumier a observé. En infiltrant un groupe Facebook dédié à l’échange de sextoys, il a découvert l’existence d’un marché à la fois secret et actif. "Il y a un groupe privé où chacun peut proposer ses jouets à revendre. Les acheteurs commentent ou passent en message privé. Ensuite, tout se fait via des fausses annonces sur Vinted ou Leboncoin", raconte-t-il.
Ces échanges, nés après le premier confinement, rassemblent aujourd’hui plus de 4 500 membres. "Les échanges sont nombreux, bien que majoritairement du côté des vendeurs. C’est ce qui m’a donné l’idée : structurer ce marché pour lever les barrières, notamment celles liées à l’hygiène." nous décrypte l’entrepreneur.
Réjouis, premiers émois
Malgré les doutes du début d’aventure ("j’y vais, j’y vais pas"), l’entrepreneur est agréablement surpris par les retours. "Je m’attendais à des critiques virulentes, à des ‘c’est dégueulasse’. En réalité, les gens sont curieux. Ça les interpelle, ça les fait réfléchir."
Pour se lancer dans la sextech et le "déjà utilisé" demande plus d'audace que d'autres projets. À première vue, Bénoni Paumier cumule les obstacles : tabou de l'intime, défi d'industrialisation, méfiance quant à l'hygiène. Pourtant, l'entrepreneur avance méthodiquement, convaincu que la proof of concept peut changer les mentalités. Même sa famille, qu'il redoutait d'impliquer dans cette aventure liée aux objets intimes, l'a soutenu. L'entrepreneur s'est d'abord interrogé sur la pertinence d'incarner publiquement Rejouis et de s'exposer dans les médias. La réponse s'est imposée : "Ce projet, je devais l'assumer, à commencer auprès de mes proches. Ils me soutiennent, et ça fait toute la différence", précise-t-il à CM-CM.fr.
Une industrie encore très peu adaptée au réemploi
Son commerce est semé d'embûches : "Tous les objets de plaisir ne peuvent pas être réemployés", déplore-t-il. Durant le développement du protocole sanitaire, il a constaté que certaines matières, notamment les plastiques poreux, ainsi que certaines formes, ne permettent pas une désinfection suffisante. Ces sextoys sont donc exclus du catalogue numérique Rejouis.
Pour Bénoni Paumier, sa marque va au-delà de la vente d'objets reconditionnés : "ce projet, c'est aussi une manière de questionner nos pratiques. Pourquoi achetons-nous autant, si rapidement, pour si peu d'utilisation ?" Convaincre le public passe par l'éducation. "Acheter un jouet d’intimité d'occasion peut être un frein. Mais c'est comme pour tous les marchés de seconde main : au début, on hésite, puis on se lance." En plus de la revente, l'entrepreneur ne s’interdit pas d’explorer d’autres modèles économiques comme l’abonnement basé sur l’usage. Ici, le sextoy ne s'achèterait plus. Un pionnier.
Catégorie : La relève
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