Crédit : Association des maires de France
En direct de son premier salon et congrès des maires de France, CM-CM.fr est allé à la rencontre des élus qui œuvrent dans les collectivités pour propulser la seconde main et le réemploi. Entre coupes budgétaires, problèmes de ressources humaines et manque d’information, ils nous racontent leurs expériences du terrain, nous confient leurs ras-le-bol, mais expriment aussi leur fierté. Témoignages.
"Investir dans l’économie circulaire, ce n’est jamais de l’argent perdu, ça fait faire des économies, c’est fondamental pour la transition écologique et ça fait rentrer tous les acteurs locaux dans un cercle vertueux". Mercredi 20 novembre, cette conviction est celle de l’écologiste Florentin Letissier, maire-adjoint de Paris, lors d’une conférence organisée par l’Institut de l’économie circulaire (INEC) au salon des maires et de collectivités locales. Parc des expositions, porte de Versailles, ce rendez-vous économique accueille également l’évènement très politique du 106e Congrès des maires de France.
Une heure avant que l’élu parisien ne prenne la parole sur ce thème, le collectif EC2027 -qui œuvre pour faire du sujet, un thème central du prochain quinquennat- inaugurait avec enthousiasme, à un pavillon de là, le pôle "Economie circulaire". L'effort pour promouvoir la seconde main auprès des élus locaux grandit depuis quelques années, mais les résultats concrets dans les communes, eux, restent faibles. A l’image de l’espace physique réservé spécialement à l’économie circulaire sur le salon, pour la seconde année consécutive : trois ou quatre mini stands à peine.
Un village d’irréductibles entrepreneurs, bénévoles et experts -piloté par l’association EC2027- au milieu de cette rencontre grouillante entre acheteurs locaux et entreprises en tous genres. Sur place, les défenseurs de l’EC (comme on dit dans le jargon) ne ménagent pas leurs efforts pour appâter le chaland et lui faire faire la Fresque de l’économie circulaire. Entendez convaincre un maire de s’informer sur le "cercle vertueux" du réemploi, à l’aide d’un petit jeu pédagogique sur le modèle de la Fresque du Climat).
La seconde main souffre du manque de formation des maires
Premier problème, en effet, quand on veut parler d’économie circulaire à un élu: "il sait bien souvent à peine de quoi on parle", confie à CM-CM.fr deux bénévoles chargées d’animer la Fresque.
"Pour beaucoup de maires, l’économie circulaire se réduit bien souvent à la gestion des déchets et le recyclage. On est là pour leur expliquer l’étendue du sujet, leur faire prendre de la hauteur. D’un coup, ils découvrent que dans une commune, quasiment tout peut être réutilisé!", nous confie l’une d’elles.
"A la fin, certains réalisent même qu’ils pratiquent déjà l’économie circulaire sans le savoir", ajoute sa collègue animatrice sur le stand qui guette d’un coin de l’œil la moindre écharpe tricolore.
Le maire de Sainte-Hélène en Gironde, Lionel Montillaud, fait parti de ces élus de moyennes communes qui connaissent mal le sujet. Après être allé faire un tour sur le pôle de l’EC pendant le salon, l’édile Horizons avoue à CM-CM.fr qu’il n’a "pas encore le réflexe du réemploi". La faute selon lui, au manque de formation et de culture faites auprès des élus, hors des grandes métropoles. Pourtant, sa femme donne aux associations et lui-même connaît bien Vinted, concède-t-il…
"Mais c’est vrai qu’à l’échelle de la municipalité, on est encore dans la culture du neuf. Ce n’est pas encore ancré dans nos habitudes de se fournir en seconde main en tant qu’acheteur public (…) Pour être franc, on ne sait même pas ce qu’il y a comme offre sur le marché dans notre région", constate-t-il.
L’économie circulaire et le réemploi (trop) mal connus des équipes municipales
La formation des maires, c’est une chose, celle de l’ensemble des équipes derrière en est une autre. Car "même quand on s’y connait en tant qu’élu (…) On se cogne ensuite au manque de connaissances des agents sur la matière", constate l’adjoint au maire de Paris, Florentin Letissier. "La pédagogie auprès des ressources humaines est primordiale pour faire avancer la circularité", estime l’élu, en charge de l’économie sociale et solidaire et de l’économie circulaire dans la capitale.
Maire Horizons de Blain en Loire-Atlantique et président du Conseil national de l’économie circulaire [Le CNEC, organisme public créé en 2021 par le ministère de la Transition Écologique, NDLR], Jean-Michel Buf, pointe le même écueil: "Cette éducation des équipes, elle est fondamentale. On est face à des agents publics, des acheteurs, qui ne connaissent pas les acteurs économiques circulaires", déplore-t-il. Alors à Blains, un guide d’achats pour orienter les appels d’offres a été distribué aux agents de cette commune de plus de 10 000 habitants.
La Fresque de l’économie circulaire, quant à elle, multiplie les interventions auprès des municipalités. "Notre but c’est qu’un maximum d’élu locaux soient informés des enjeux et de l’étendue de l’économie circulaire", résume à CM-CM.fr Elsa Bortuzzo, co-fondatrice de la Fresque.
La seconde main et l’économie circulaire oui, mais avec quels moyens ?
Une fois l’information infusée auprès des équipes, vient directement la question de l’argent. A Paris, ville pionnière de nombreuses initiatives circulaires, on s’agace du manque d’ambition financière. "Pourtant, on est certainement la ville la moins à plaindre de ce côté-là (…) Je n’imagine pas les difficultés des plus petites communes pour faire le choix des marchés de seconde main, [parfois légèrement ou bien plus chers que le neuf, NDLR]", déplore l’écologiste Florentin Letissier.
Au même titre que les autres domaines qui relèvent de la compétence des collectivités locales, l’économie circulaire souffre de la santé budgétaire des communes. "On sent bien que la période de récession économique actuelle plombe la prise de hauteur et la volonté de penser ensemble les initiatives", diagnostique auprès de CM-CM.fr la maire socialiste de Colomiers (Haute-Garonne) Karine Traval-Michelet. "On assiste à un repli sur soi dans la façon de penser", observe-t-elle.
Avec plusieurs élus PS, elle a mené un rassemblement devant l’entrée du Salon des Maires mercredi 20 novembre au matin pour dénoncer les coupes budgétaires décidées par le gouvernement dans le futur projet de loi de finances pour l’année 2025. Actuellement examiné au Sénat, après le blocage de l’Assemblée nationale, ce texte prévoit une baisse conséquente de dotations pour les collectivités. Sur un panneau brandi par l’élue occitane, on peut lire : "Colomiers -3,4 millions d’euros". En majuscules sur la banderole derrière laquelle se sont rangés comme elle plusieurs dizaines d’élus en colère, s’étale : "Non à la casse des services publics".
La question du budget des collectivités est au cœur de cette édition 2024 du Salon et Congrès des maires. Que ce soit en introduction, mardi 19 novembre, où quelques centaines de maires ont posé symboliquement devant les caméras, écharpe noire autour du buste. Ou en conclusion, jeudi 21 novembre, dans la bouche du président de l’association des maires de France, David Lisnard, devant Michel Barnier. "Monsieur le Premier ministre, on n’est pas là pour être flattés au Congrès et tapés au budget", a sermonné l’élu cannois pendant de son discours de clôture.
Auprès de CM-CM.fr, l’adjoint au maire parisien, Florentin Letissier, abonde : "Les villes sont de plus en plus déshabillées de leurs moyens et de leur compétence".
"Michel Barnier veut faire des économies, mais on a un gouvernement et une ministre de la Transition écologique [Agnès Pannier-Runacher] qui n’ont toujours pas compris que l’économie circulaire ça permet justement de faire le plein d’économies!", s’agace-t-il.
A l’échelle des communes pourtant, des exemples de réemploi concluants existent
Dans les bureaux de la mairie de Paris, une décision a été prise en attendant le vote final du budget 2025 : zéro coupe dans l’économie sociale et solidaire, ni dans l’économie circulaire. "C’est un choix politique", se félicite le responsable de ces deux branches pour la capitale. D’ici les élections municipales 2026, le jeune adjoint d’Anne Hidalgo espère bien remplir sa promesse faite aux Parisiens : une ressourcerie pour chaque quartier de Paris.
Le maire de Saint Hélène, Lionel Montillaud, évoquait peu l’économie circulaire avant le salon. Désormais, il se dit prêt à faire l’effort :
"Entre un tracteur neuf pour la commune et un tracteur reconditionné vendu par une ressourcerie agricole de la région, ah bah oui là y’a plus de débat, moi je suis prêt à prendre le tracteur de seconde main", concède-t-il auprès de CM-CM.fr.
"Mais attendez que cette ressourcerie existe… Et attendez qu’elle corresponde derrière aux normes et à la législation qui pèsent sur les appels d’offres des collectivités…", prévient-il.
A Blain, en Loire-Atlantique, le maire continue à montrer l’exemple. De manière très concrète. Et ce, bien qu’il ne souhaite pas se représenter en 2026. Après son guide d’achats circulaires à destination de tous ses agents, Jean-Michel Buf a équipé l’entièreté de sa municipalité en appareils électroniques recyclés ou reconditionnés. "On l’a fait et ça fonctionne très bien. Si nous on le fait, tout le monde peut le faire !", conclut l’élu local et président du CNEC, en attente d’une réponse de la ministre de la Transition écologique [Agnès Pannier-Runnacher, NDLR] pour travailler sur la question du réemploi au sein du gouvernement.
Plus au sud à Colomiers, il suffit d’entendre la maire Karine Traval-Michelet évoquer les (très) nombreux exemples de projets circulaires mis en place dans sa commune pour constater que la seconde main, dans tous les domaines, a de l’avenir dans les collectivités locales. "Chez nous, en 10 ans, on a réussi à créer tout un écosystème en partant de rien", se réjouit-elle auprès de CM-CM.fr.
"Ce n’est finalement pas tant une question d’argent qu’un besoin de vision et de dynamique", nous assure-t-elle avant de s’expliquer davantage :
"Nos projets circulaires à Colomiers ne nous coûtent pas tant d’argent que ça, à vrai dire. Regardez par vous-même: on a utilisé l’ancienne mairie puis une ancienne école pour créer deux nouveaux tiers-lieux", nous énumère-t-elle.
"Zéro euros dépensé dans la construction physique de ces deux pôles d’échanges citoyens qui accueillent des formations, des investissements locaux, un espace culturel, des entrepreneurs de la région etc", se réjouit-elle.
En économie circulaire, en fonction de la taille des communes, des visions et des personnalités des maires, les choses vont plus ou moins rapidement. Mais ce qui est sûr, "c’est que la demande des habitants augmente, que ce soit pour faire des économies ou renforcer le lien social", constate le maire de Saint-Hélène, Lionel Montillaud. "Aux élus locaux maintenant de leur répondre et de relever ce défi ! Et à l’Etat de nous le permettre", conclut Karine Traval-Michelet.
Catégorie : Politique