POLITIQUE — Vide-greniers, brocantes, braderies, à l’instar des marchés du dimanche, ces rendez-vous de proximité attirent chaque automne de plus en plus d’hommes et femmes politiques. Après la pause estivale et les rentrées politiques de la fin août, ces espaces de seconde main, de proximité et de convivialité permettent aux politiques de s’offrir de nouveaux lieux de représentation.
L’automne installé, les vide-greniers, brocantes et autres braderies (prononcé "foiratou" si vous venez de Normandie) se multiplient. Depuis la rentrée de septembre jusqu’à mi-octobre, les fins de semaine de nombreux Français leur sont consacrés. Sur les nombreux tréteaux, beaucoup de vêtements d’occasion, de jouets d’enfants, de la vaisselle vintage, des vinyles, quelques meubles… Et de plus en plus, des hommes et femmes politiques.
Lors de la très fameuse braderie de Lille du 14 et 15 septembre dernier, de nombreux partis -du camp présidentiel (Horizon/Modem/Renaissance) aux Ecologistes y tenaient leur stand. Leur présence ne date pas de cette édition 2024, mais tend à s’implanter de plus en plus dans ce type d’événements.
"Pour un politique, c’est un bon calcul. À condition d’y aller sans les tracts et sans la cravate", recommande le professeur à l'Université de Bourgogne, spécialiste des nouvelles formes du lien social, Pascal Lardellier, interrogé par CMCM.
Pour Mathieu Lefèvre, député Ensemble pour la République (EPR) du Val-de-Marne, interrogé spécifiquement sur le sujet par CMCM, "les braderies et les vide-greniers offrent un espace public de plus en plus rare où élus et Français désintéressés de la politique peuvent se retrouver et échanger", observe le parlementaire, habitué lui aussi à fouler les allées de ces événements populaires dans sa circonscription.
Rendez-vous politique de l’automne
Pour les différents partis, la braderie du week-end automnal permet de concrétiser la rentrée politique estivale. Après avoir posé le 22 août les bases de l’année à venir pour le mouvement des Écologistes lors d’un séminaire stratégique et idéologique, la cheffe des Verts, Marine Tondelier s’offrait son premier bain de foule de la nouvelle année scolaire lors du rendez-vous, plus populaire, de la braderie d’Hénin-Beaumont le 8 septembre dernier.
Sa désormais très reconnaissable veste verte sur le dos, elle et ses équipes d’Osons Hénin-Beaumont ont leur tente, déambulent parmi les stands et s’offrent même une séance de porte-à-porte. À quelques mètres, quatre députés insoumis, leurs alliés à l’Assemblée nationale, assurent également une présence conséquente, pour la première fois.
Un peu plus loin, la cheffe de file des députés du Rassemblement national, Marine Le Pen, s’offre une parade aux allures de meeting dans cette ville qui l’a élue à 64,58% aux législatives de juillet dernier. Une occasion rêvée pour la leader d’extrême droite de s’offrir photos et selfies dont elle est friande. Autant d’images qui rassure et procure chaleur, proximité et joie, après la période politique trouble de ces derniers mois.
"L'époque est lourde et violente. Le débat public est hystérique, le rythme effréné. Lors d’un vide-grenier, l’homme et la femme politique va profiter d’un moment de convivialité douce, d’une parenthèse enchantée où chacun s’ouvre à l’autre", note Pascal Lardellier, auteur de l’ouvrage Eloge de ce qui nous lie. L'étonnante modernité des rites (L'Aube, 2023).
Braderie is the new marché du dimanche
On connaissait le traditionnel marché du dimanche duquel il était courant, les beaux jours arrivant, que les élus ou candidats foulent la place, propagande de campagne à la main. Plus classique, cet exercice semble de moins en moins fonctionner aujourd’hui, selon le spécialiste, auteur de l’article "Les vide-greniers, le lien plus que le gain" publié sur le réseau d’analyse de l’actualité, The Conversation.
« Contrairement au marché du dimanche, il n’y a pas de contexte de hiérarchisation des relations sociales. Tout le monde commerce, tout le monde négocie. La bourgeoise comme le pauvre. »
Dans cette étude, Pascal Lardellier observe que le moment de la brocante physique entre particulier offre lieu d’échange horizontal. "Contrairement au marché du dimanche, il n’y a pas de contexte de hiérarchisation des relations sociales. Tout le monde commerce, tout le monde négocie. La bourgeoise comme le pauvre", analyse-t-il.
Tandis qu’au marché, "on n’y passe pas deux heures et les douze coups de midi sonnent rapidement la retraite", la braderie est un espace "où l’on prend le temps de discuter, où l’on partage ses passions, dans une ambiance de prédisposition au lien social. Les visiteurs sont ouverts à l’imprévu, à la rencontre et à la bonne surprise", estime Pascal Lardellier.
À la différence des marchés "espaces saturés, vus et revus dans les journaux de 13h de Jean-Pierre Pernault", ajoute-t-il.
Foire aux punchlines
Dans ce climat de bonne ambiance qui prend son temps, hommes et femmes politiques ont l’espace de s’offrir la bonne séquence. Que ce soit à travers des images de bonne mère du peuple, comme Marine Le Pen à Hénin-Beaumont ou à travers les formules.
Braderie de Lille 2022, Jean-Luc Mélenchon avait fait parlé de lui après avoir invectivé la Première ministre, Élisabeth Borne. "Le chaos, c’est vous", avait lancé le leader de La France insoumise.
C’est lors de la foire de Châlons en Champagne le 7 septembre dernier que Jordan Bardella a communiqué pour la première fois sur la position de son parti à l’issue de la nomination du nouveau Premier ministre Michel Barnier. Face aux journalistes, le président du Rassemblement national a ainsi déclaré: "Je jugerai Monsieur Barnier à ces actes, non pas à ces prises de parole".
À Hénin-Beaumont, le même week-end, Marine Tondelier s’est fendue à l’adresse du président de la République: "Avec Michel Barnier (…) Emmanuel Macron a mis Marine Le Pen dans le rôle de juge et arbitre".
Au même moment, Marine Le Pen déclare dans une rue parallèle: "Je ne suis pas la DRH d’Emmanuel Macron".
À la rencontre des gens "du 15 du mois" et des désintéressés de la politique
Tout en déambulant et en ayant la bonne photo dans l’objectif du badaud et la bonne petite phrase au micro du journaliste, les hommes et femmes politiques prennent l’apparence de Monsieur et Madame Tout le monde. "Le vide-grenier, c’est la caution de proximité pour le politique", explique Pascal Lardellier, spécialiste du lien social. "Il y a les gens ‘du 15 du mois’, les personnes qui, passé le 15 manquent d’argent. Ils viennent parce qu’ils sont en difficulté financière et ils y achètent des vêtements à 3 euros, des rollers à 10e pour les enfants…", développe-t-il.
"Ça permet de voir des gens que vous ne croisez pas le reste du temps", confie le député Ensemble pour la République du Val-de-Marne, Mathieu Lefèvre qui regrette que de moins en moins de lieu de rendez-vous officieux existent entre les personnalités politiques et les populations. Il reste au moins les vide-greniers.
« Ça permet de voir des gens que vous ne croisez pas le reste du temps »
"Là on peut encore rencontrer les gens qui ne s’intéressent pas à la politique, des jeunes, des parents, des personnes âgées, qu’on ne verra jamais aux réunions publiques, ni sur les marchés où l’on ne finit par croiser que les habitués", relate l’élu du camp présidentiel.
"Les politiques rencontrent ces populations, dans ce lieu réconfortant. Et c’est, d’un coup, un peu ‘Ensemble, c’est tout’", conclut Pascal Lardellier.
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